Réflexion autour du territoire à l’occasion d’une visite commentée d’Appartenir, la première exposition à titre de commissaire de l’artiste multidisciplinaire Émilie B. Côté.
Émilie B. Côté est de connivence avec les éléments : bien enracinée dans son Témiscamingue natal, la chasseuse-cueilleuse laisse la nature intervenir dans la création de ses œuvres. Pas étonnant alors que le premier commissariat de cette artiste multidisciplinaire, aussi co-directrice générale et directrice des arts visuels au Rift, à Ville-Marie, s’intéresse au territoire. « Je suis allée chercher des artistes qui vibraient un peu sur la même fréquence. Toutes les femmes qui [ont fait] partie de l’exposition ont un peu la même sensibilité aux petites choses qu’elles voient dans la nature, qu’elles vont cueillir. Il y a quelque chose de très personnel, mais aussi d’universel », explique l’artiste rentrée dans ses terres en 2010 après ses études à l’Université Laval.
L’œuvre La gravelle, et l’espoir, c’est fragile a été la bougie d’allumage de ce premier commissariat. Ces empreintes de ruisseaux réalisées par Violaine Lafortune sont issues du projet Eaux souterraines, au cours duquel l’artiste – également titulaire d’un doctorat en géographie physique et habituée à jongler avec les concepts scientifiques pour appréhender le monde qui l’entoure – a effectué une immersion de 18 mois au sein de la Société de l’eau souterraine Abitibi-Témiscamingue (SESAT), un organisme voué à la saine gouvernance de l’eau.
« Il y a quelque chose de tellement organique. [Les empreintes] sont placées debout, accotées sur le mur. On sort complètement le ruisseau de ce qu’il est habituellement, au sol, où il se faufile. Là, il est comme glorieux, pointant vers le ciel. Et je trouve qu’il y a quelque chose de super poétique dans l’empreinte, c’est comme une trace du passage du temps, des saisons et, ultimement, de la vie qui passe », décrit Émilie B. Côté.
L’exposition Appartenir juxtaposait ainsi les œuvres de 12 femmes, qui sont issues du territoire de l’Abitibi-Témiscamingue ou qui ont côtoyé la commissaire à l’occasion de résidences artistiques. C’est par exemple le cas de la sculptrice Marie-Claude Hains, de L’Islet, rencontrée lors d’une résidence dans le Kamouraska en 2021. Émilie B. Côté décrit comme un « échange territorial » le fait d’avoir accueilli dans son Témiscamingue Chardons | L’embrasement des êtres, une œuvre de Hains en aluminium et caoutchouc de pneus recyclés.
« C’est une des artistes qui m’avait accueillie, on s’est promenées sur le territoire, elle m’a fait visiter son atelier. J’ai vu qu’elle travaillait avec la bardane et j’avais trouvé ça super intéressant. Donc, quand j’ai conçu l’exposition, j’ai pensé à elle. Je trouvais ça intéressant d’être allée faire un projet dans le Kamouraska et que, maintenant, elle vienne ici avec la même thématique », souligne la commissaire.
Je pense qu’on ne peut pas parler du territoire sans avoir des artistes qui font des revendications, qui s’y intéressent et qui le défendent avec leur art.
Présence autochtone
Avec cette thématique, et en raison de la présence autochtone millénaire dans la région, Émilie B. Côté n’avait d’autres choix que de faire la part belle aux artistes issues des Premières Nations. L’artiste crie Virginia Pésémapéo Bordeleau, maintes fois primée pour son œuvre littéraire et ses peintures, exposait ainsi Les Ourses, une série d’œuvres en carton gaufré inspirée de son animal totem. L’artiste atikamekw Eruoma Awashish – fraîchement lauréate d’un Prix en art actuel du Musée national des beaux-arts du Québec (MBNAQ) – présentait Kekwan ka wapataman? /Que vois-tu?, une peinture s’inscrivant dans sa démarche qui vise à « créer des espaces de dialogue et ainsi faciliter la compréhension de la culture des Premières Nations ».
« Je pense que le fait de se réapproprier ses origines est un geste politique en soi pour les artistes autochtones. De faire de l’art avec les instructions de leurs ancêtres, les connaissances qu’elles ont reçues, déjà là, c’est très politique. Ses œuvres semblent poétiques, mais il y a toujours aussi derrière une réappropriation de sa culture et une dénonciation de ce que les premiers peuples ont vécu », explique Émilie B. Côté, en référence à la dualité « blessures et guérison » évoquée par l’artiste.
Des artistes allochtones présentaient également des œuvres rappelant la fragilité du territoire et l’urgence de le protéger dans une sorte d’écho aux revendications de leurs consœurs autochtones. Mentionnons, par exemple, la performance vidéo où l’artiste environnementaliste et écoféministe Véronique Doucet s’adonnait à la méditation dans un cercle de feu avec, en arrière-plan, la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda. Ou encore les sérigraphies d’Édith Laperrière, dont les encres d’un noir profond ont été fabriquées à partir de charbon de bois récolté dans les territoires ravagés par les feux de forêt de l’été dernier.
« Je pense qu’on ne peut pas parler du territoire sans avoir des artistes qui font des revendications, qui s’y intéressent et qui le défendent avec leur art », analyse Émilie B. Côté.
Un miroir de sa propre démarche artistique
Avec ce premier commissariat, Émilie B. Côté s’est aventurée en territoire connu. Sa propre démarche artistique l’incite effectivement à passer beaucoup de temps en forêt, multipliant ce qu’elle qualifie de « duos avec la nature ». Des toiles brutes délibérément laissées en forêt en offrent un exemple.
« L’été dernier, j’en ai ramassé une, un orignal avait marché dessus, il y avait l’empreinte! Je n’osais pas rêver de ça, mais c’est arrivé. Il y a souvent ce rapport [qui consiste à] laisser la nature en faire un bout. Parce que ça avance tout le temps, les processus naturels continuent de se faire sans arrêt. Moi, je m’insère à un petit moment, je fais un petit duo avec la nature », relate cette adepte de la cueillette, qui intègre à ses œuvres bijoux et lichens, champignons, fleurs et autres motifs spectaculaires créés par Mère Nature.
Émilie B. Côté vient d’ailleurs de recevoir 18 000 $ du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) pour la réalisation du projet De cire et d’argile. L’artiste déposera des sculptures de céramique dans les ruches de Miel Abitémis, avec l’objectif que les abeilles prennent le relais dans cette entreprise de co-création.
« L’apiculteur qui m’accompagne dans ce projet est convaincu que les abeilles vont faire des alvéoles partout, mais la vérité, c’est que je n’ai aucune idée de comment ça va sortir. Il y a comme une partie d’abandon : comme dans la nature, on ne peut rien contrôler, c’est tout le temps plus fort que nous, donc on laisse aller et on fait avec ce qui nous est proposé », laisse-t-elle tomber.
À suivre en 2025 au Centre d’exposition de Val-d’Or… ou lors de la prochaine exposition d’Émilie B. Côté.