Les personnes qui résident en région éloignée comptent encore très largement sur l’auto solo pour leurs déplacements quotidiens. Pour atténuer cette dépendance, la Ville de Rouyn-Noranda mise sur le développement de son réseau d’autobus… et sur sa gratuité.
L’Abitibi-Témiscamingue est encore largement dépendante de la voiture : selon la dernière édition du Panorama des régions du Québec de l’Institut de la statistique du Québec, c’est la deuxième région la plus « motorisée » du Québec avec un taux de 9 074 véhicules légers par tranche de 10 000 habitants contre 7 482 pour la moyenne provinciale.
Seule municipalité de la région à disposer d’un système de transport en commun par autobus, Rouyn-Noranda tente de déjouer les statistiques. Si plusieurs municipalités de taille comparable — Alma, Saint-Georges, Thetford Mines, Victoriaville — optent pour le transport à la demande, la Ville de Rouyn-Noranda, elle, fait le choix de l’accessibilité et de l’optimisation des circuits.
On voulait vraiment inciter les gens à utiliser le transport collectif, à délaisser l’auto solo. C’était une question environnementale, mais aussi sociale et économique.
Un plan qui roule
Depuis l’introduction de la gratuité en mai 2023, l’achalandage s’est accru de plus de 60 %, se réjouissent les élus. Ils espèrent que cette hausse se poursuivra grâce, entre autres, à l’élargissement de la desserte par autobus à deux quartiers dits « périphériques » pendant les heures de pointe : Évain et Granada.
« On voulait vraiment inciter les gens à utiliser le transport collectif, à délaisser l’auto solo. C’était une question environnementale, mais aussi sociale et économique », fait valoir la mairesse Diane Dallaire, qui dit s’être inspirée de la ville de Sainte-Julie pour formuler cet engagement lors de la campagne municipale de 2021.
Dans son plan de gestion des déplacements, la Ville s’est effectivement dotée d’un objectif que la mairesse décrit comme « ambitieux ». Elle entend réduire la part des déplacements en « auto-solo » de 14 à 22 % selon les secteurs et ainsi diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 15 %, peut-on lire dans le document adopté quelques mois avant l’introduction de la gratuité des transports en commun.
« On sait que les gens ne changent pas leurs habitudes du jour au lendemain, mais les nouvelles facilités jumelées à la gratuité vont certainement attirer de nouveaux utilisateurs », espère la mairesse, rappelant que la version revampée des trajets — où les autobus circulent dans les deux directions plutôt qu’en boucle — et le remplacement des grands autobus par de plus petits véhicules pour augmenter la fréquence des passages sont des réponses directes aux besoins exprimés par la population.
Le test de la réalité
Francis Marquis était « excité » d’essayer cette nouvelle option pour relier son domicile d’Évain à son lieu de travail… à un peu plus d’une dizaine de kilomètres dans la cité étudiante. Il s’est empressé d’en tester l’efficacité, dès le premier jour de la mise en service du nouveau circuit.
« Ce n’est pas beaucoup plus long qu’avec mon char : le nouvel arrêt d’autobus est juste dans ma cour et il me débarque plus près que quand je dois stationner ma voiture », estime-t-il, enthousiaste de pouvoir laisser l’un des deux véhicules de la famille à la maison au moins quelques jours par semaine.
Mais s’il faut déposer les enfants à la garderie et attendre de nouveau l’autobus pour se rendre au travail, cette option ne tient plus la route puisqu’elle prendrait trop de temps. Francis Marquis confie avoir hâte au printemps pour pouvoir utiliser les supports à vélo dont seront munis les autobus trois saisons par année. « Aller porter les enfants à la garderie sans attendre le prochain autobus sera alors possible », anticipe celui qui plaide aussi pour l’aménagement de pistes cyclables plus efficaces et sécuritaires jusqu’aux quartiers périphériques. Il salue le nouvel intérêt de ses collègues — qui vivent en ville — pour les circuits d’autobus optimisés.
Un cocktail de mesures
Pour Jean-Philippe Meloche, professeur à l’école d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, la mixité des modes de déplacement doit en effet faire partie de la réflexion. Il fait valoir que Rouyn-Noranda est une « championne de la marche », son « principal avantage au niveau climatique », se référant aux données du recensement de Statistique Canada qui renseignait le moyen de transport utilisé pour aller travailler.
« L’idée, c’est d’avoir plusieurs solutions en place », évalue-t-il. Le chercheur cite notamment la densification du centre-ville, l’aménagement d’espaces favorables à la marche ou au vélo, le retrait d’espaces de stationnement municipaux ou encore la taxation des espaces de stationnement commercial, industriel ou institutionnel.
« Ce sont des petits gains qui s’additionnent. L’idée n’est pas d’écœurer les automobilistes, c’est de rendre les zones piétonnes plus agréables, de donner envie aux gens de prendre le transport en commun, d’encourager les employeurs à adopter des politiques de mobilité durable », nuance-t-il.
Ces mesures sont dans les cartons de la Ville, comme en témoigne son plan de gestion des déplacements. Diverses initiatives mises en œuvre ces dernières années, par exemple l’aménagement d’une zone piétonne au centre-ville l’été ou les changements apportés à la réglementation pour encourager la « densification douce » en milieu urbain et rural, concourent à cet objectif.
Et d’autres mesures devraient s’ajouter, laisse entendre la mairesse, qui précise que le comité sur le transport des personnes poursuit ses travaux. « Clairement, il faut trouver des solutions adaptées à nos quartiers ruraux aussi. C’est un premier pas… un premier autobus dans la bonne direction ! », conclut Diane Dallaire, philosophe.