Grâce à des robots sophistiqués, ceux et celles qui devaient fréquemment voyager pour affaires peuvent désormais assurer une présence physique chez des clients basés à l’étranger sans prendre l’avion ni même quitter le confort de leur salon. Une avenue intéressante pour diminuer l’empreinte carbone des entreprises.
La pandémie de COVID-19 a chamboulé l’emploi du temps de Benjamin Ricard, dans le bon sens du terme. Avant la crise sanitaire, le directeur de la distribution de Flexpipe, entreprise manufacturière de Farnham, visitait régulièrement les installations d’un important fournisseur de services logistiques situé aux États-Unis.
De quatre à six fois par année, Benjamin prenait donc l’avion jusqu’à Atlanta pour un court, mais intense séjour d’affaires, avant de revenir au Québec. Un déplacement polluant, il va sans dire : environ 0,3 tonne d’équivalent CO₂ est relâchée dans l’atmosphère lors de ce trajet, selon le calculateur du Fonds d’action québécois pour le développement durable.
L’arrêt subit des voyages internationaux, en mars 2020, a cependant forcé l’homme d’affaires à imaginer un plan B, et vite. La solution s’est présentée sous la forme d’un robot télécommandé à distance à partir d’un ordinateur ou d’un téléphone qui pousse le concept de télétravail à un niveau supérieur. La personne aux commandes, qui apparaît sur un écran fixé à même le robot, peut ainsi interagir en direct avec les gens que celui-ci croise, comme si elle était sur place. C’est comme avoir un représentant sur les lieux, en somme.
« Au début de la crise, Flexpipe a mis à l’essai un robot de téléprésence dans son usine de Farnham afin de faciliter les communications entre les employés de production sur le plancher et ceux confinés à la maison, comme les superviseurs. Le succès a été tel que nous avons décidé d’en expédier un à Atlanta, chez notre client », raconte Benjamin Ricard.
Depuis, ce dernier parvient à abattre sensiblement le même boulot qu’auparavant grâce à cette technologie. Surtout, il a réduit pour de bon la fréquence de ses déplacements d’affaires au strict minimum, soit à une fois par année tout au plus. « C’est une économie significative de temps, d’énergie et de ressources. Le robot de téléprésence, qui se détaille autour de 6000 $, se rentabilise en deux ou trois voyages », calcule-t-il.
C’est comme si tu étais sur place, en personne, avec la liberté d’interagir en temps réel avec tes interlocuteurs. On est très loin des visioconférences classiques, comme sur Zoom ou Google Meet, qui sont très statiques, très froides.
Expérience immersive
Julien Depelteau est le président de Flexpipe. Il a commencé à s’intéresser aux robots de téléprésence il y a trois ans. La pandémie a achevé de le convaincre des avantages et des bénéfices qu’ils peuvent apporter. Visites virtuelles de la salle d’exposition, séances de formation pratique et dynamiques avec des clients, fluidification des échanges avec les partenaires et fournisseurs sur des enjeux techniques : il est intarissable sur le sujet.
« C’est comme si tu étais sur place, en personne, avec la liberté d’interagir en temps réel avec tes interlocuteurs. On est très loin des visioconférences classiques, comme sur Zoom ou Google Meet, qui sont très statiques, très froides », explique le dirigeant. La silhouette de certaines marques de robots de téléprésence évoque même celle d’un être humain, c’est tout dire.
L’entrepreneur québécois croit tellement en cette technologie qu’il s’est lancé dans sa commercialisation à grande échelle. Depuis le mois de mai dernier, il distribue les robots de téléprésence de la compagnie californienne Double Robotics au Québec et en Ontario. Les Holo Robots, nom de la marque de distribution, « permettent d’être là où nous ne sommes pas », lit-on dans un communiqué de presse.
« Double Robotics, c’est un peu le Apple des robots de téléprésence. Leurs robots réactifs, légers et aux lignes épurées offrent une qualité d’expérience sans pareille », fait-il valoir. Pour lui, ils en valent donc la peine, et ce, même s’ils sont plus dispendieux que ceux de la concurrence. Bref, ils ont tout pour offrir une qualité d’expérience optimale, ce qui est tout l’intérêt de cette technologie.
Et ça marche?
Pour l’instant, Holo Robots connaît surtout un succès d’estime. Les écoles et établissements de santé manifestent de l’intérêt pour les robots de téléprésence, dans une perspective de valeur ajoutée à leur offre de service actuelle. Des institutions muséales de la région d’Ottawa s’en sont même procurés pour permettre de visiter leurs expositions à distance!
La réponse est meilleure du côté du secteur privé, où il est plus facile de faire valoir auprès des entreprises les économies relatives aux frais de déplacement. On a estimé en 2018 que plus de 3,2 millions de Canadiens avaient effectué un voyage d’affaires dans la dernière année. L’avion et l’automobile étaient, à parts égales, les deux principaux moyens de transport utilisés lors de ces déplacements professionnels.
« Nous en sommes encore à l’étape des adopteurs précoces de la technologie, admet toutefois Julien Depelteau. Aussi, nous subissons un peu le contrecoup de la COVID-19; la surutilisation des plateformes virtuelles de communication a laissé des traces. » Et qu’en est-il des arguments climatiques en sa faveur? « Ce n’est pas un facteur décisif chez nos clients à l’heure actuelle. »
L’adoption des technologies de téléprésence permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 1 à 3,8 gigatonnes d’équivalent CO₂ sur 30 ans à l’échelle mondiale.
Source: projet Drawdown
Cela pourrait peut-être le devenir. Le projet Drawdown fait des technologies de téléprésence l’une de ses 100 solutions pour réduire les émissions de GES de l’humanité d’ici 2050. Ce groupe de chercheurs mené par l’environnementaliste américain Paul Hawken a calculé que leur adoption permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 1 à 3,8 gigatonnes d’équivalent CO₂ sur 30 ans à l’échelle mondiale, sans parler des 107 à 143 milliards (!) d’heures non productives économisées dans la foulée. Ces calculs ne tiennent toutefois pas compte de l’empreinte carbone de la fabrication et de l’utilisation des robots. Il faudrait la prendre en compte pour évaluer de manière plus précise leur avantage climatique.
Certains pays du nord de l’Europe ont saisi ce potentiel. « Nous avons des distributeurs en Suède et en Allemagne depuis plusieurs années. On sent que le discours sur l’importance de réduire ses GES pour lutter contre les changements climatiques est rendu beaucoup plus loin là-bas qu’ici, en Amérique du Nord », souligne David Cann, fondateur de Double Robotics, dont les ventes de robots de téléprésence ont doublé en 2020 par rapport à 2019. Signe des temps : elles sont en passe de faire de même en 2021.