À Granby, un kilomètre de noues végétalisées sert d’éponge en cas de fortes pluies pour éviter que les égouts débordent. Une initiative inspirante pour s’adapter aux changements climatiques, qui accentuent le risque d’inondation.
En aménageant, il y a 40 ans, dans sa maison blanche proprette de Granby, Thérèse Beaudoin ne se doutait pas que sa demeure subirait deux fois les affres d’un refoulement d’égout causé par des pluies diluviennes en 2008 et en 2011. « Le sous-sol était inondé et ça sentait mauvais jusqu’à l’étage… On a dû retirer le tapis, repeindre les murs, poser de la céramique, etc. », se souvient-elle.
Heureusement, cette soixantenaire n’a plus à redouter un autre sinistre du genre grâce aux noues végétalisées qui ont été creusées en bordure de sa rue en 2013. D’une profondeur de 45 cm, ces fossés qui s’étirent sur un kilomètre accueillent 80 arbres et 12 000 vivaces et graminées qui se multiplient au fil des ans. « Lorsqu’il pleut, les eaux de surface venant de la rue ou des terrains s’écoulent dans ces fossés », explique Benoit Carbonneau, directeur du service de la planification et de la gestion du territoire à la Ville de Granby et initiateur du projet.
Au milieu des plantes et arbustes – tous choisis pour leur résistance à l’immersion, à la sécheresse et aux sels de déglaçage –, on a aussi intégré des puisards dotés de régulateurs de débit. Connectés au réseau d’égout municipal, ils récoltent l’excédent d’eau lors de fortes précipitations. De plus, de petits seuils en béton posés à intervalles réguliers le long des noues ralentissent la vitesse d’écoulement des eaux pluviales. Et comme une bonne partie de celles-ci sont filtrées par les plantes, l’eau qui est finalement rejetée dans la rivière Yamaska est de meilleure qualité.
Ce « remède végétal » aux refoulements d’égout a bien failli ne jamais voir le jour à Granby. « En 2011, un consultant mandaté par la Ville pour régler le problème des refoulements avait proposé de mettre une conduite souterraine en béton et de refaire toutes les infrastructures en surface au coût de 3,7 millions de dollars », explique Benoit Carbonneau, un ingénieur qui a à cœur le respect de l’environnement et qui était embauché la même année par la Ville. Lui et son équipe de la division d’ingénierie ont plutôt opté pour une avenue alors inexplorée en milieu bâti au Québec : celle des « noues » avec végétaux. En plus de constituer un choix écologique en matière de gestion durable des eaux pluviales, elles sont économiques : pour 2,4 millions de dollars, elles ont permis d’enrayer les refoulements dans ce secteur qui était le plus touché de la ville.
« C’est la plus belle rue de Granby! »
Avant l’achèvement des travaux, en novembre 2013, le projet de noues s’est pourtant buté à la réticence de citoyens mécontents de perdre des espaces de stationnement des deux côtés de la rue, se rappelle Benoit Carbonneau.
Aujourd’hui encore, les Granbyens ne sont pas unanimes sur ces « jardins de pluie » en enfilade. « Je déteste ça! » tonne Janet Averill, 78 ans, sur le pas de sa porte. « Jamais de l’eau ne s’est infiltrée dans notre maison, et les fleurs sont tellement hautes qu’on voit mal lorsqu’on recule la voiture dans la rue », déplore-t-elle, en pointant un lys foisonnant dans la noue d’en face. « Et quand on a de la visite, c’est le bordel, il manque de place de stationnement. »
Un pâté de maisons plus loin, Lisette De Lottinville est bien installée dans une chaise coussinée sur son perron. Pour sa part, elle n’a que de bons mots pour les noues végétalisées. « Une de mes copines dit que ça ressemble à un champ de mauvaises herbes, mais moi, j’en suis très heureuse. C’est la plus belle rue de Granby! » s’emballe cette photographe à la retraite.
En plus de verdir l’espace urbain, les noues présentent plusieurs avantages, souligne Danielle Dagenais, directrice de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Puisque la largeur de la rue a été réduite, les voitures roulent moins vite. De plus, les plantes à fleurs limitent les effets des îlots de chaleur en plus d’être bénéfiques pour la biodiversité. En outre, la « biorétention » qu’effectuent les noues végétalisées est fort utile dans le contexte des changements climatiques, qui augmentent la fréquence des épisodes de pluie extrême, explique Mélanie Glorieux, directrice de projets et spécialiste de la gestion durable des eaux pluviales à la firme d’aménagement Rousseau Lefebvre, qui privilégie les interventions écoresponsables en matière d’aménagement du territoire.
S’adapter aux changements climatiques est aussi le mot d’ordre de Michel Laliberté, responsable des communications à l’Organisme de bassin versant de la Yamaska. « Il doit y avoir un changement de philosophie par rapport à la gestion des eaux pluviales », affirme cet ancien journaliste en environnement, qui souhaite que les municipalités favorisent des solutions vertes en matière de ruissellement. « Le concept, on le connaît depuis des milliers d’années : c’est que le sol est capable d’absorber l’eau! »
Une source d’inspiration
Les noues végétalisées de Granby ont fait des émules un peu partout dans la province. C’est notamment le cas à Trois-Rivières, où des îlots de biorétention de plus grande envergure jalonnent la rue Saint-Maurice depuis l’été 2018. En plus du coup de pouce financier de l’organisme Ouranos qu’a pu recevoir la Ville, un suivi scientifique de la qualité des eaux pluviales de ce projet est effectué par l’Université de Montréal et Polytechnique Montréal.
Mais c’est plutôt à Montréal que la mise en place de noues végétalisées a la cote depuis quelques années. Du Sud-Ouest en passant par Saint-Laurent jusque dans Ahuntsic-Cartierville, les arrondissements ayant emboîté le pas se multiplient. Plus récemment, c’est celui de Rosemont–La Petite-Patrie qui a annoncé une vingtaine de saillies de trottoir vertes à travers le quartier pour 2021. Une initiative appuyée financièrement par Québec qui s’inscrit dans le cadre du Programme de soutien aux municipalités dans la mise en place d’infrastructures de gestion durable des eaux de pluie à la source (PGDEP).