Alors que 100 % de l’électricité aux îles de la Madeleine provient d’une centrale thermique, le mazout qui l’alimente vient de prendre un brûlant coup de soleil. Des insulaires veulent réduire leur bilan carbone en tirant profit du potentiel solaire de l’archipel.
Dans le village de Havre-Aubert, à proximité du site historique de La Grave, une maison à l’architecture traditionnelle détonne dans le décor idyllique des îles. Sur le toit de sa véranda, plutôt que de voir un banal revêtement en tôle ou en bardeau, quatorze panneaux solaires de 265 watts font le plein d’énergie gratuite et renouvelable. Propriété du couple Éric Tabardel et Camille Heidelberger, ainsi que du frère de l’autre, Ugo Tabardel, la Maison du skipper est la première maison solaire connectée au réseau d’Hydro-Québec de l’archipel madelinot.
Faire payer Hydro-Québec!
Depuis le mois d’août, ses propriétaires profitent de l’option de mesurage net, qui permet aux autoproducteurs d’énergie d’injecter leur surplus, lorsqu’ils en ont, sur le réseau d’Hydro-Québec, grâce à l’installation d’un compteur bidirectionnel. Quand celui-ci tourne à « l’envers », la société d’État leur accorde des crédits, mettant ainsi au régime leur compte d’électricité. « En restant connectés à Hydro-Québec, on épargne l’achat de coûteuses batteries. Autrement, celles-ci auraient été indispensables pour fonctionner la nuit et par temps nuageux », explique Camille Heidelberger, une Française d’origine qui a posé le pied aux îles il y a quelques années.
À la grande satisfaction des propriétaires, chaque kilowattheure qu’ils autoproduisent, c’est un kilowattheure de moins qui doit être généré par la centrale la plus polluante d’Hydro-Québec. « Pour répondre aux besoins des insulaires, Hydro-Québec brûle 10 L de mazout par jour par personne. Ça nous donne mauvaise conscience, d’autant plus que, comme Madelinots, nous sommes aux premières loges des effets néfastes du réchauffement climatique, avec l’accentuation de l’érosion des berges », dit Éric Tabardel, pilote de voilier océanique originaire de Montréal. Pour vivre encore plus « vert », le couple a aussi acquis une voiture électrique, qu’il branche sur leurs panneaux solaires, et cultive leurs légumes bio.
» La Maison du skipper démontre qu’il est possible de réduire notre empreinte environnementale. Il est temps de passer à l’action!
En 2012, lors de l’achat par les frères Tabardel de la maison qui compte aussi deux logements, les panneaux solaires ne faisaient pas partie du plan. Mais quelques années plus tard, Éric et Camille, qui est apparue dans le portrait, ont siégé au conseil d’administration de l’Aquarium des Îles-de-la-Madeleine, à quelques kilomètres de leur demeure. « Nous avons travaillé là-bas sur un système de panneaux solaires qui n’a jamais vu le jour. À la suite de cet échec, il s’est produit un déclic dans nos têtes : pourquoi on ne le ferait pas chez nous? », raconte Éric.
Un potentiel à exploiter
Ils se sont immédiatement mis au travail et la tâche n’a pas été facile. « Kilowattheure, hertz, ondulateur; on n’avait aucune connaissance là-dedans. Il y avait plein de questions techniques à résoudre et l’expertise en la matière n’était pas encore développée aux îles. Notre électricien a dû apprendre rapidement! Heureusement, nous avons obtenu la collaboration d’Hydro-Québec, qui a changé notre compteur sans frais », explique Camille, responsable de la paperasse!
L’investissement sera-t-il rentable? Trop tôt pour le dire, car les propriétaires ne connaissent pas encore le rendement de leurs panneaux. « On sait qu’on n’obtiendra pas un retour à court terme sur l’investissement. On le fait par conviction environnementale », soutient Éric.
Par contre, tout pourrait changer à moyen terme. Hydro-Québec a déposé en juillet dernier, à la Régie de l’énergie, sa nouvelle stratégie tarifaire dans laquelle elle préconise d’augmenter la valeur des crédits offerts aux autoproducteurs qui se situent dans les réseaux autonomes — les communautés non connectées au réseau principal d’Hydro-Québec —, comme c’est le cas des îles de la Madeleine.
Résultat : la société d’État propose de donner un crédit pour cette énergie de 0,17 $/kWh, soit six fois plus cher que le crédit qui serait accordé aux autoproducteurs du continent.
« Ce coût reflète davantage la situation que l’on retrouve aux îles, où notre énergie coûte cher à produire et où elle est vendue à perte aux Madelinots. Ce montant représente le coût du combustible évité par l’achat d’énergie renouvelable, que ce soit solaire ou éolien », explique Marc-Antoine Pouliot, porte-parole d’Hydro-Québec. Si la Régie entérine cette demande tarifaire, Camille, Éric et Ugo pourraient profiter de ce crédit attrayant à partir d’avril 2018.
« Cette nouvelle mesure pourrait fortement encourager la production d’énergie solaire aux îles », se réjouit Camille. Avec son territoire majoritairement dénudé, donc fortement exposé aux rayons du soleil, et son climat tempéré, l’archipel de 13 000 habitants figure comme un emplacement de choix pour bénéficier de l’énergie du soleil.
» Contrairement à la croyance populaire, les panneaux photovoltaïques produisent davantage par temps frais que par forte chaleur. On a le climat idéal pour ça!
Les trois propriétaires souhaitent que leur exemple crée un effet d’entraînement dans la communauté madelinienne. « La Maison du skipper démontre que c’est possible de réduire notre empreinte environnementale. Il est temps de passer à l’action! », déclarent les trois complices, qui envisagent l’ajout d’un panneau solaire thermique dans une phase II.