Mal en point et menacée par les changements du climat qui détruisent son habitat, la tortue-molle à épines, l’un de nos reptiles les plus furtifs, reçoit un coup de main qui assurera sa survie au lac Champlain. Un parfait exemple d’adaptation à la nouvelle réalité climatique.
Avec son nez en forme de trompette, sa carapace molle qui s’apparente à une crêpe, son envergure imposante (plus de 55 cm chez la femelle) et son appendice sexuel surdimensionné (la moitié de la taille d’un spécimen mâle!), la tortue-molle à épines ne passe pas inaperçue. Pourtant, ce reptile se fait discret comme un ninja et ce n’est pas uniquement parce qu’il est extrêmement furtif, vivant sous l’eau comme un poisson. C’est aussi parce qu’il se fait de plus en plus rare.
Au Québec, les changements climatiques se traduisent par une augmentation des événements de pluie et de sécheresse extrêmes. Cela a pour effet de changer le cycle hydrologique des bassins dans lesquels la tortue-molle à épine vit. À cela s’ajoutent les pressions exercées par la construction de routes, de ponts et de barrages, par l’urbanisation, l’agriculture et les activités récréatives. Il n’est pas étonnant d’apprendre que selon le Registre public des espèces en péril du Canada , la perte d’habitat est la principale menace pesant sur les deux sous-populations de la tortue-molle à épines. Conservation de la nature Canada (CNC) et ses partenaires ont donc réaménagé l’étang Reynolds, une action concrète pour s’adapter aux changements climatiques en agissant directement sur le niveau des eaux.
Au Québec, l’aire de répartition de la tortue-molle à épines (TMÉ pour les intimes) se confine désormais à la baie Missisquoi, au lac Champlain, alors qu’elle s’étendait autrefois des eaux de l’archipel d’Hochelaga à la rivière des Outaouais. La perte d’habitat, la prédation par les mouffettes et les ratons laveurs ‒ deux bêtes qui prolifèrent dans les milieux modifiés par l’homme ‒ et les blessures mortelles causées par les engins de pêche et les hélices des bateaux à moteur font mal aux populations du reptile menacé, difficilement observable même par les herpétologues. « La plupart du temps, on ne réussit qu’à voir le bout de leur nez qui émerge de l’eau », affirme Patrick Galois, un biologiste qui étudie les tortues depuis plus de 25 ans.
Pour éviter leur disparition complète, il faut agir et s’adapter aux changements climatiques qui sévissent. En décembre dernier, sous un froid sibérien, pelles mécaniques et ouvriers ont creusé bassins, buttes et chenaux dans l’étang Reynolds, jouxtant le lac Champlain, à Saint-Georges-de-Clarenceville. Le but de l’opération : sauver cet habitat essentiel pour la tortue-molle à épines, qui fréquente les eaux peu profondes de ce plan d’eau au printemps, profitant d’une eau plus chaude que celle du lac en vue de reprendre des forces avant la période de la ponte.
L’adaptation aux changements climatiques au Québec touche de près ou de loin l’ensemble des êtres vivants, les humains comme les animaux. Alors que certaines espèces comme la tortue-molle à épines frôlent déjà l’extinction, d’autres sont menacées à court ou moyen terme. D’où l’importance d’agir face à la nouvelle réalité climatique.
« Le problème, c’est que cet habitat critique, qui constitue l’un de ses derniers refuges dans la baie Missisquoi, commençait à s’envaser, ce qui complexifiait le rétablissement de ce reptile », explique Valérie René, chargée de projets à CNC. Grâce à ces travaux, les TMÉ pourront profiter des deux tiers de cette étendue d’eau, contre un tiers auparavant. Les travaux profiteront aussi aux tortues peintes et géographiques, qui fréquentent les parages.
De l’eau et des œufs
Ce projet singulier d’adaptation au climat changeant, réalisé au coût de 180 000 $, dont une partie du financement provient du Plan d’action sur les changements climatiques (PACC) du gouvernement du Québec, a été conçu en prenant en considération les changements climatiques à venir d’ici 2050.
« Puisqu’on prévoit que le cycle hydrologique du lac Champlain sera modifié, notamment avec une baisse du niveau de l’eau au printemps, l’aménagement de l’étang comprend une série de bassins de différentes profondeurs qui conserveront leur utilité pour les tortues même si le niveau de l’eau se modifie », explique Patrick Galois du groupe de recherche Amphibia-Nature, qui fait partie de l’équipe de réalisation.
L’aménagement assure également un lien aquatique continu au printemps entre le lac et l’étang, indispensable pour les TMÉ qui ne s’aventurent presque jamais hors de l’onde. Dans le contexte des changements climatiques, la préservation de cet habitat, situé à l’extrême nord de l’aire de répartition des tortues, est essentielle et permet à l’espèce de se disperser dans la province.
Si tout va bien, un deuxième étang sera creusé sur la même propriété, afin de maximiser les chances de succès du projet. Ces efforts de rétablissement se combinent aux actions menées par le Zoo de Granby, qui recueille des œufs de TMÉ chaque année en vue de les incuber en laboratoire, assurant ainsi un meilleur taux de succès. Depuis 2010, plus de 1 000 mini-tortues ont été relâchées dans la rivière aux Brochets, un affluent du lac Champlain.
Dans leur combat pour assurer leur survie, les tortues ninjas comptent de plus en plus d’alliés. Cowabunga!