Mission : « débétonner » la Saint-Charles

Rivière Saint-Charles : histoire d'un débétonnage
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Cercueil de béton, blockhaus linéaire, pâle imitation du canal Rideau : au milieu des années 1990, la réputation de la rivière Saint-Charles était peu enviable. Jusqu’à ce qu’un groupe de citoyens s’en mêle et change le cours des choses.

Retour vers le futur, 20 ans en arrière. Avec ses hauts murs de béton aménagés au cours des années 1970 dans le secteur le plus urbanisé de son bassin, cet important cours d’eau de Québec ne joue alors plus aucun rôle écologique. Les concentrations en coliformes fécaux qu’on y mesure sont dignes d’un dépotoir à ciel ouvert. Ses rives, semblables à celle de la Seine, constituent le prolongement naturel des quartiers centraux défavorisés qu’elle borde : Limoilou, Saint-Roch et Saint-Sauveur.

C’est alors qu’un groupe formé d’une dizaine de citoyens préoccupés par la situation entreprend l’impossible : redonner ses lettres de noblesse à la rivière Saint-Charles. Dès ses débuts en 1995, le Mouvement Rivière Vivante s’inspire d’expériences probantes de restauration de rivières comme la Magog à Sherbrooke ou la Don à Toronto, deux projets menés par des organismes citoyens similaires.

« La rivière avait désespérément besoin d’une voix sur la place publique. Nous étions convaincus que de retirer le corset de béton dans lequel on avait emprisonné le cours d’eau lui redonnerait vie », raconte Michel Beaulieu, l’un des cofondateurs du Mouvement Rivière Vivante.

La rivière Saint-Charles à Québec, dans les années 80.

La rivière Saint-Charles à Limoilou, dans les années 80. © Jean Roberge

 

Pour le « débétonnage »

L’administration municipale du Rassemblement populaire de Jean-Paul L’Allier ne l’entend toutefois pas de la même oreille. Son projet de « revitalisation » de la Saint-Charles, sur fond de candidature de Québec aux Jeux olympiques de 2002, consiste à empiéter encore plus sur la rivière. Le but : remblayer 100 000 m2 de son lit pour y aménager des réservoirs de rétention et des parcs urbains.

L’enlèvement des murs en béton n’est donc pas dans les cartons, au grand dam de Réjean Lemoine, ex-conseiller municipal indépendant du quartier Saint-Roch de 1989 à 1997. « Heureusement, les citoyens du Mouvement Rivière Vivante ont déposé des mémoires fort bien ficelés lors des consultations publiques pour exiger la naturalisation de la rivière. Ce n’était pourtant pas à l’ordre du jour : ils ont imposé leur agenda », se souvient-il.

« C’est le jour et la nuit par rapport à 20 ans en arrière. On cherche désormais à s’y établir alors que, jadis, on la fuyait. »
Réjean Lemoine

« On ne s’est pas limités au rôle de figurants dans une commission : nous avons forcé la main à la Ville en démantelant chacun de ses arguments », confirme Christian Simard, un environnementaliste bien connu qui s’est impliqué dès la première heure. Malgré tout, les autorités municipales campent sur leurs positions. Pour la Ville, c’est un « beau canal » en béton ou rien.

Rallier l’opinion publique

La bataille pour retirer les parois de béton se transporte ensuite sur le terrain. En mai 1997, le Mouvement Rivière Vivante réunit 70 volontaires prêts à canoter sur une section insalubre de la Saint-Charles. L’événement, fortement médiatisé, attire l’attention non seulement sur le besoin criant d’assainissement, mais aussi sur l’immense potentiel récréotouristique de la rivière. « C’est ce qui nous a mis au monde et qui a ouvert les yeux du grand public à notre cause », souligne Michel Beaulieu.

On organise par la suite des mini-croisières touristiques, des courses de canot et des visites commentées de la rivière. Cette série d’actions culmine avec la première édition de la Fête de la rivière Saint-Charles, en mai 1999, lors de laquelle 300 canoteurs descendent le cours d’eau – on ne trouve plus un canot à louer dans toute la ville! À la tête de la flottille : Jean-Paul L’Allier, maire de Québec, flanqué de ses échevins. « Ça a été le point de bascule. Il n’y avait plus de retour en arrière possible : les murs étaient condamnés à disparaître », affirme Christian Simard, aujourd’hui directeur général de Nature Québec.

La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1996
La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1997
La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1996
La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1996
La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1997
La rivière Saint-Charles à l’embouchure de la rivière Lairet en 1997

La rivière Saint-Charles, avant et après le « débétonnage ». © Jean Roberge

 

La naturalisation progressive des berges de la rivière, qui avait débuté timidement quelques années auparavant, s’intensifie. Le projet est achevé en 2008, juste à temps pour le 400e anniversaire de la Ville de Québec. En une décennie, le béton a laissé place à une généreuse végétation ainsi qu’à une faune et une flore abondantes. Les abords de la Saint-Charles constituent aujourd’hui un véritable milieu de vie, au grand plaisir des citoyens de Québec qui la fréquentent été comme hiver.

Un riche héritage

Dissous en 2008, le Mouvement Rivière Vivante a laissé un héritage qui prend tout son sens dans le contexte des changements climatiques. Sans le savoir, ces citoyens entreprenants ont permis, par leurs actions, d’atténuer le phénomène des îlots de chaleur et de combattre la pollution atmosphérique, très présente dans les quartiers centraux de Québec. Un marais à proximité du pont Marie-de-l’Incarnation, sauvé lui aussi d’un remblaiement certain par la Ville de Québec dans les années 1990, agit aujourd’hui comme station de filtration naturelle des eaux.

En outre, les 12 réservoirs de rétention finalement aménagés en bordure de la Saint-Charles ont diminué les débordements estivaux de 95 %, ceux-ci passant de 80 à 4 en moyenne par été. Seule la question de la qualité de l’eau de la rivière – un enjeu qui concerne son vaste bassin versant – demeure en suspens.

Les rives de la rivière Saint-Charles aujourd’hui.

 

Pour Réjean Lemoine, qui habite à un jet de pierre de la Saint-Charles, celle-ci est aujourd’hui méconnaissable, dans le bon sens du terme. « C’est le jour et la nuit par rapport à 20 ans en arrière. On cherche désormais à s’y établir alors que, jadis, on la fuyait », constate-t-il. Même les loutres sont de retour : quelques-unes de ces coquines petites bêtes ont été aperçues à la mi-mars!