Ce n’est pas un, ni deux, mais bien trois millions d’arbres qui vont bientôt être plantés en Abitibi. De quoi créer un gigantesque puits de carbone capable de stocker des tonnes et des tonnes de CO2 lorsque les forêts seront arrivées à maturité.
Redonner vie à des terres agricoles à l’abandon en y plantant des millions d’arbres. C’est le projet titanesque dans lequel s’est lancée l’Agence régionale de mise en valeur des forêts privées de l’Abitibi (ARFPA). À force de détermination, Benoit Mandeville, l’ingénieur forestier de l’ARFPA, est en train de le concrétiser. D’ici 2020, trois millions d’arbres seront plantés dans les MRC d’Abitibi, d’Abitibi-Ouest, de Rouyn-Noranda et de La Vallée-de-l’Or sur une superficie de 2315 hectares, équivalente à 3200 terrains de football.
En circulant dans la région, on les remarque tout de suite : les friches agricoles font désormais partie du paysage abitibien. On en dénombre plus de 60 000 hectares, signale Benoit Mandeville. « C’est un triste constat du déclin de l’agriculture, mais ça représente aussi un énorme potentiel de reboisement », ajoute-t-il sur une note positive. Sur ces terres abandonnées, des arbres et arbustes sans valeur commerciale, comme des aulnes, ont pris le dessus, « gaspillant » en quelque sorte un beau potentiel économique et climatique.
En plantant des arbres exploitables en foresterie, on crée aussi des puits de carbone qui participent à la lutte contre les changements climatiques », indique l’ingénieur qui a travaillé fort avec plusieurs partenaires, comme le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec et les fédérations régionales de l’Union des producteurs agricoles, pour lancer un vaste projet de reboisement. Après des mois de labeur, ce projet va voir le jour grâce à une subvention de 7,7 millions de dollars octroyée par le Fonds du leadership pour une économie à faibles émissions de carbone du gouvernement du Canada.
Les trois millions d’arbres plantés en Abitibi pourront stocker jusqu’à 180 000 tonnes de CO2.
« Des friches seront ainsi reboisées chez plus d’une centaine de propriétaires, car la plupart d’entre eux ne possèdent qu’une partie d’un lot en friche », indique Benoit Mandeville en précisant qu’un lot a une superficie de 40 hectares. Au cours des prochains mois, l’ARFPA communiquera avec des propriétaires privés, qui travaillent de concert avec elle, pour connaître leur intérêt à reboiser leurs terres. La préparation des terrains se fera à l’été 2019, puis les plantations commenceront en 2020.
De petits plants d’épinette blanche, d’épinette noire et de pin gris seront principalement mis en terre, mais, selon les caractéristiques des sols et les réalités sur le terrain, des mélèzes, des peupliers hybrides, des pins rouges et des pins blancs seront aussi plantés.
Un sacré plus pour l’industrie forestière
Au cours des dernières années, seuls 1,2 million d’arbres étaient replantés par an, faute de moyen pour en faire plus, explique Stéphane Paul, du syndicat des producteurs de bois d’Abitibi-Témiscamingue. « Selon notre plan de protection et de mise en valeur, on devait pourtant reboiser trois millions de plants par année pour maintenir la capacité de production et répondre aux besoins des scieries. Cette annonce-là est donc la bienvenue, car on était déficitaires depuis des années », observe-t-il.
À maturité, les trois millions d’arbres que l’ARFPA va planter pourraient représenter 200 000 mètres cubes de bois à valoriser pour l’industrie forestière. Un stock d’une valeur totale de 15 millions de dollars, note Stéphane Paul.
… et pour la lutte aux changements climatiques
Pour le climat, l’avantage se chiffre aussi en millions… de tonnes de gaz à effet de serre (GES) en moins. Selon les données recueillies par Cecobois, le Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois, l’utilisation d’un mètre cube de bois dans la construction permet de retirer 0,9 tonne de CO2 de l’atmosphère, « ce carbone restant dans le bois même après la récolte ou la transformation de l’arbre ». Les trois millions d’arbres plantés en Abitibi pourraient ainsi stocker environ 180 000 tonnes de GES.
L’impact de ces millions d’arbres sera encore plus grand si leur bois sert à remplacer des produits pétroliers utilisés pour le chauffage ou à fabriquer des objets en plastique, soutient le forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, lors du 2e Forum des communautés forestières de la Fédération québécoise des municipalités, qui s’est tenu en février dernier. Il reprend ainsi les conclusions d’une étude de la commission anglaise des forêts, qui soutient que la production d’une cuillère de bois génère environ 17 g de CO2, alors que la production d’une cuillère en plastique en génère 200 et celle d’une cuillère en métal, 460. Fabriquer une cuillère en bois émet donc 10 fois moins de CO2, et c’est sans compter le carbone séquestré!
L’afforestation, autrement dit l’ajout de nouvelles forêts sur des terres déboisées depuis longtemps, devra permettre l’absorption de 11 milliards de tonnes de CO2 par année en 2050 si l’on veut atteindre les objectifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a souligné le biologiste Claude Villeneuve lors de ce même forum. « Chaque arbre supplémentaire compte! », a martelé le professeur titulaire de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi.