Pour une alliance avec le castor

Le philosophe Baptiste Morizot explore de nouvelles manières de penser notre rapport au vivant.
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Le philosophe Baptiste Morizot explore de nouvelles manières de penser notre rapport au vivant. ©Renaud Monfourny
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Nouvelle rubrique! La série « On a lu pour vous » vous présente des penseuses et penseurs contemporains en mode 101. Pour l’inaugurer, on se penche sur le dernier livre du philosophe Baptiste Morizot, Rendre l’eau à la terre, qui s’inspire du castor pour inventer de nouveaux rapports aux milieux hydriques… et au vivant.

Baptiste Morizot ne craint pas de mouiller sa chemise, au sens propre comme au figuré. De passage à Montréal fin 2023 pour une conférence, le philosophe rattaché à l’Université d’Aix-Marseille (France), en a profité pour marcher le long de la rivière Sutton, dans la région voisine de l’Estrie. Son objectif : y observer les travaux du castor, cet ingénieur des zones humides d’Amérique du Nord et d’Europe. L’animal tient une place centrale dans Rendre l’eau à la Terre (Actes Sud), son dernier livre, une enquête en aquarelles coécrite avec l’artiste franco-américaine Suzanne Husky.

« Baptiste Morizot ne se contente pas d’ajouter un commentaire sur des auteurs comme font beaucoup de philosophes contemporains », affirme Éric Pineault, professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur du comité scientifique de l’Institut des sciences de l’environnement. « Il déploie une véritable philosophie de l’action qui implique de s’immerger dans son sujet et de développer une connaissance très pratique de son objet de réflexion ». Morizot, qui, pour un précédent livre, avait pisté un loup, a cette fois appris les techniques d’aménagement de cours d’eau inspirées de ce que fait le castor dans le nord de la Californie, aux États-Unis.

Certaines techniques d’aménagement des rivières s’inspirent des gestes que les castors reproduisent depuis des millions d’années. Cette médecine-castor a été testée sur la Lierne, un cours d'eau européen, représenté ici par Suzanne Husky
Certaines techniques d’aménagement des rivières s’inspirent des gestes que les castors reproduisent depuis des millions d’années. Cette médecine-castor a été testée sur la Lierne, un cours d'eau européen représenté ici par Suzanne Husky

De fait, la préface du livre est signée par Joe Wheaton, considéré comme un pionnier dans la recherche sur la restauration des rivières par des procédés de faible technicité, ou low-tech. C’est l’enseignement de cet Américain qui a en quelque sorte incité Morizot à remonter la piste du rongeur.

La force hydrologique du castor

On pourrait croire que Rendre l’eau à la Terre est une ode au castor. Après tout, l’animal occupe une large place tout au long des presque 350 pages du bouquin. Même les illustrations, signées Husky, contribuent à entretenir cette perception; ces dernières vulgarisent de manière éloquente les parties plus techniques de l’exposé de Morizot. C’est par exemple le cas lorsqu’il relate le parcours d’une goutte d’eau sur un segment de rivière ponctué d’ouvrages érigés par le castor. Celle-ci prend jusqu’à 20 jours à s’écouler – alors qu’il lui faudrait de 3 à 4 heures pour parcourir le même chemin en l’absence du rongeur.

Rapidement, on réalise toutefois que le mammifère tient davantage un rôle d’ambassadeur. Morizot mobilise cette figure pour plaider un véritable changement de nos rapports à l’eau. Il constate que les sociétés humaines ont corseté, drainé et bétonné les rivières pour construire leurs villes et cultiver leurs champs. Cette évacuation systématique de l’eau amplifie, hélas, les problèmes inhérents au changement climatique : inondations, sécheresses, feux de forêt, pollution, etc. Par sa capacité à ralentir les mouvements de l’eau, le castor nous montre la voie à suivre pour reprendre les rivières aux machines qui les ont briguées.

Aquarelle de Suzanne Husky présentée dans le livre Rendre l’eau à la terre publié chez Actes Sud.
Aquarelle de Suzanne Husky présentée dans le livre Rendre l’eau à la Terre publié chez Actes Sud.

Tout au long du récit, Morizot rappelle que la nature, par son action, bénéficie à l’être humain de manière invisible, mais bien réelle. Cette puissance du vivant constitue le fil conducteur de l’ensemble de son œuvre; elle traverse chacun de ses écrits, notamment Les Diplomates (2016), sur la cohabitation avec le loup. « Sa démarche consiste à observer les animaux pour d’abord mieux comprendre comment, par leur pouvoir spécifique, ils contribuent à engendrer le monde, souligne Éric Pineault. Puis, il s’interroge sur la manière de créer une alliance avec eux. »

Le dernier livre de Baptiste Morizot résumé en cinq idées

  1. Notre modernité concentre les rivières dans un espace restreint qui perturbe les chemins naturels de l’eau.
  2. Le castor, parce qu’il ralentit les mouvements de l’eau, aide à lutter contre les problèmes inhérents aux changements climatiques.
  3. Le castor est un acteur majeur dans la modification des récits et des imaginaires.
  4. Il est possible, grâce à des techniques de restauration de faible technicité qui n’impliquent pas de mobiliser des énergies carbonées, de réactiver dans les rivières, certains processus vivants.
  5. Des vies non humaines fournissent des services écosystémiques qui ne peuvent être substitués.

Une question d’adaptation

La médecine des rivières défendue par Morizot est ancrée dans une logique d’adaptation plutôt que de lutte contre le changement climatique. Lui-même s’ouvre sur ces nuances dans le cadre d’une entrevue diffusée l’automne dernier sur les ondes de France Culture. « Éviter les drames liés aux changements climatiques n’est plus d’actualité, disait-il alors. Les atténuer, inventer des rapports plus matures et systémiques à l’eau qui impliquent de la sobriété [tout en faisant] de la place aux milieux dont on a besoin pour continuer à prospérer comme société, ça, c’est envisageable. »

Hasard du calendrier, la parution de Rendre l’eau à la Terre a précédé de peu celle, à la mi-décembre, d’un rapport sur les liens entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé. Fruit d’une évaluation scientifique réalisée sous l’égide de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), l’équivalent du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) pour les questions touchant à la biodiversité, le rapport consacre de longs passages à la régulation du cycle de l’eau par les écosystèmes.

Pour Éric Pineault, Morizot gagne à être fréquenté par quiconque cherche à étoffer sa réflexion sur la philosophie du vivant. « Rendre l’eau à la Terre n’est peut-être pas son livre le plus accessible, met-il toutefois en garde. Manières d’être vivant [paru en 2020] représente à mon avis une meilleure introduction à sa pensée. »

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