Je suis devenue végétarienne après avoir regardé un documentaire sur l’élevage industriel dans un cours de géo au cégep. C’était en 2007 et, dans ce temps-là, je devais souvent répondre à des questions sur ma potentielle carence en protéines, et le seul resto que je trouvais intéressant était le Commensal. Bref, une autre époque.
Comme j’étais surtout sensible à la question environnementale, c’était l’immense empreinte écologique de la viande qui justifiait mes choix alimentaires. L’empreinte d’une portion de viande de bœuf est de 1470 grammes d’équivalent CO2 (éq. CO2) contre 150 grammes d’éq. CO2 pour la portion correspondante de tofu*. Si j’ai rapidement perdu l’envie de viande rouge, j’ai continué à manger du fromage et des œufs (véganes, ne m’en lancez pas s’il vous plaît). Mes lectures sur l’éthique animale m’ont cependant fait adopter toutes sortes de substituts aux produits laitiers. Il faut dire que j’habitais à Montréal, alors ce n’est pas le choix qui manquait.
Le grand move
En 2017, j’ai quitté la grand-ville pour un petit village de la Mauricie. J’étais loin de me douter que ce déménagement allait autant transformer mes habitudes alimentaires. Comme toute bonne néorurale qui se respecte, j’ai planté un grand potager et adopté des poules, et ce, avec énormément d’exaltation. Mon excitation a été un peu moins grande quand j’ai réalisé que dans la minuscule épicerie près de chez moi, il n’y avait ni lait d’avoine ni tofu bio, et que les légumes étaient tous emballés individuellement.
Il a donc fallu user de créativité pour que mon assiette continue à refléter mes valeurs. Je me suis tournée vers les groupes d’achat d’aliments bios en vrac, avant qu’un camion de vrac mobile (!) commence à sillonner ma région. Pour les aliments frais, je me suis abonnée à un panier bio et j’ai couru les marchés publics, les kiosques à la ferme et les activités de glanage. Au fil du temps, j’ai découvert qu’en Mauricie, on cueille des champignons sauvages, on brasse de la sacrée bonne bière, on produit du fromage de chèvre, du vin, des pois à soupe, du sirop d’érable et du miel, une tonne de petits fruits et même des noix. Ma région d’adoption possède sa propre identité culinaire et ça me rend fière.
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Habiter mon territoire nourricier
Au gré de ces explorations, la magie a opéré. J’ai aidé mes fermiers et fermières de famille à monter une serre, j’ai sympathisé avec le producteur de légumes vivaces et la productrice de camerises, et je me suis liée d’amitié avec l’éleveuse de poulets bios du village d’à-côté. Les gens qui me nourrissaient n’étaient plus anonymes, c’étaient mes voisins, mes amies. Le territoire nourricier, lui, n’était plus un paysage qu’on visite de temps en temps, je l’habitais. Je réalisais d’ailleurs plus que jamais l’importance d’en prendre soin avec une agriculture à petite échelle, raisonnée et régénératrice.
Avec le temps, les aliments produits près de chez moi par des personnes que je côtoie ont pris de plus en plus de place dans mon frigo et mon garde-manger, au détriment d’aliments exotiques ou transformés, aussi sans viande soient-ils. Certains pourraient dire que j’ai retourné ma veste. Ce n’est pas tout à fait vrai. Disons que j’ai troqué ma veste chère et faite de bouteilles recyclées à l’autre bout du monde pour une veste tricotée à la main par ma grand-mère.
Aujourd’hui, pour les grandes occasions, je me permets de cuire un poulet bio avec des légumes racines qui poussent à 5 km de chez moi et des herbes de mon jardin. Avec la carcasse, je fais ensuite un bouillon qui finit en potage avec d’autres légumes locaux. J’achète aussi des fruits de mer du Québec qu’un poissonnier des Îles-de-la-Madeleine vient livrer quatre fois par année à un groupe d’achat de mon village. Je me tiens toujours loin du bœuf et du porc, les viandes avec les plus gros impacts carbone, ainsi que des chaînes de rôtisserie, et ça me va très bien comme ça.
Mon inconfort a trouvé écho dans le livre La chèvre et le chou, débat entre un artisan fermier et un militant végane de Dominic Lamontagne et Jean-François Dubé. À travers des lettres cinglantes et sans aucune complaisance, les deux hommes se targuent de détenir LA recette pour réduire le plus possible la souffrance, les problèmes de santé et le désastre écologique liés à notre régime alimentaire. Je dois concéder des points des deux côtés, mais j’avoue m’être davantage reconnue dans le discours du paysan des Laurentides que dans celui de l’activiste montréalais. À ce propos, Dominic Lamontagne précise :
« Je pense que le choix d’être omnivore ou végane doit relever d’une décision morale qui sera amenée à varier selon les individus et leur environnement. Personnellement, si je dois choisir entre un hotdog classique, préparé à partir de viande provenant de l’élevage intensif, et des épis de maïs de mon patelin, grillés, enrobés de sel et d’huile de tournesol locale, il y a de fortes chances pour que je choisisse de manger ce blé d’Inde. Inversement, entre une salade aux crevettes de Matane et une salade composée de légumineuses importées de l’Inde, je considère le premier choix beaucoup plus éthique que le second. »
J’imagine que le meilleur des mondes serait de manger des aliments d’origine 100 % végétale et 100 % locale et à petite échelle. Les deux auteurs s’entendent cependant pour dire que c’est présentement impossible.
Aujourd’hui, on pourrait m’apposer l’étiquette de locavore, mais je préfère encore ne pas en porter du tout. Parce que je suis loin d’être parfaite (je dois avouer que je bois quotidiennement du café et que j’ai hâte au mois de décembre pour manger des clémentines tous les jours). À chaque repas, je flirte avec un équilibre plus ou moins confortable qui continuera sans doute d’évoluer. Dans 10 ans, peut-être chasserai-je ma propre viande, ou alors, je serai devenue végane pure et dure. Place au questionnement et à l’incertitude.
Sur ce, bon appétit aux omnivores, aux véganes, aux flexi, aux crudivores, aux locavores et aux autres!
* Source : Desjardins et coll. 2012; Mejia et coll. 2017.