Oui, mais tooooous mes amis peuvent le faire eux! Ça, c’était mon argument numéro un quand je voulais obtenir une permission spéciale dans ma tendre jeunesse. « Et si tes amis sautent en bas du pont, tu vas les suivre? » Ça, c’était ce que me répondaient immanquablement mes parents. Un classique qui m’exaspérait à tout coup. Mais force est de constater qu’ils avaient bien compris l’influence (et les limites) des normes sociales.
Les normes sociales sont des règles de conduite qui, comprises par les membres d’un groupe, guident ou limitent leurs actions de façon implicite. Elles déterminent ce qui est attendu et ce qui sera considéré comme « anormal » ou désapprouvé dans une situation donnée.
Vous risquez de vous attirer des regards si vous buvez une sangria à la bibliothèque de votre quartier, alors que sur une terrasse avec vos amis, ce serait un comportement perçu comme tout à fait approprié. La plupart du temps du moins.
Le pouvoir des normes
Les normes sociales, par la présence (réelle ou imaginée) des autres, exercent une pression qui a le pouvoir d’influencer grandement nos opinions et nos comportements. Après tout, qui voudrait être socialement réprouvé? Êtres humains que nous sommes, nous optons donc la plupart du temps pour le conformisme, et ce, même si les normes en place mènent à des faussetés. L’expérimentation de Asch (1951) en est un exemple patent. Les participants devaient juger laquelle de trois lignes était identique à une ligne « témoin » (voir image ci-dessous).
Facile! La réponse est A. Non? 37 % des participants ont pourtant donné cette réponse (ou B) lorsqu’ils étaient confrontés à un groupe de complices qui clamaient haut et fort l’exactitude de leur affirmation. Troublant…
Les normes sociales s’instaurent donc indépendamment de tous critères de vérité. Même lorsque des règlements ou le « bon sens » dictent le contraire, les comportements manifestés par la majorité apparente deviennent une norme sociale. Ce qui peut nous pousser à agir de façon aberrante. Par exemple, dans un endroit public, plus il y a de déchets au sol, plus les gens ont tendance à jeter leurs déchets au sol à leur tour. « Bien quoi! Tout le monde le fait! »
Plus la norme est saillante ou frappante, plus elle nous influencera. Certains communicateurs l’ont d’ailleurs bien compris.
Voici deux messages que l’on retrouve typiquement dans les chambres d’hôtel :
Le message A énonce un argument environnemental pour justifier la réutilisation des serviettes. Le message B fait de même, mais présente également de façon saillante les habitudes de la majorité des clients. BOUM! La norme est maintenant activée dans notre tête. Vous l’aurez deviné, le message B s’avère plus efficace à convaincre la clientèle de l’importance de réutiliser les serviettes de bain.
Les pièges
Plusieurs campagnes de sensibilisation utilisent le pouvoir des normes sociales pour inciter les gens à agir autrement.
« Vos voisins le font, faites-le aussi! »
Malheureusement, les résultats escomptés ne sont pas toujours au rendez-vous. Par exemple,
- Si une personne a de fortes croyances ou normes personnelles élevées, elle aura moins tendance à se laisser influencer par la pression sociale.
- Si une personne ne s’identifie pas au groupe de référence, il y a peu de chance que les normes sociales exercent une pression suffisante (madame qui vient d’emménager dans le quartier s’en balance peut-être de ce que font ses voisins).
- Certaines campagnes de sensibilisation attirent notre attention sur l’amplitude du problème à résoudre pour souligner l’importance d’adopter de nouveaux comportements.
« La majorité des résidents de la ville n’achètent pas ou très peu de produits locaux. Ne faites pas comme eux. »
Ces messages soulignant les comportements indésirables de la majorité ont pour effet d’AUGMENTER la fréquence du mauvais comportement plutôt que de la diminuer. Voilà ce qui se passe quand on n’active pas la bonne norme. Oups! Cet effet boomerang et d’autres effets croisés des normes sont évidemment à éviter.
En résumé, « Tout le monde le fait » détient un puissant pouvoir d’influence — sauf pour mes parents, curieusement. Lorsqu’on arrive dans un nouvel endroit et qu’on ne connaît pas les coutumes, il est pratique d’observer les comportements d’autrui et de s’y conformer. Par contre, lorsque la norme est de polluer, comme d’utiliser sa voiture pour aller au dépanneur du coin ou de surconsommer, le conformisme peut sérieusement porter préjudice à l’environnement.
Svp, ne vous jetez pas en bas du pont. Résistez. Choisissez la ligne C.