La carotte est cuite

la carotte ou le baton face aux changements climatiques
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04 avril 2019 - Anne-Sophie Gousse-Lessard, Docteure en psychologie sociale et environnementale

Des enfants coquins aimaient bien amener leur chien faire ses besoins sur le terrain du voisin. Excédé, ce dernier décida de leur parler : « Merci les enfants! Grâce à vous, l’herbe n’a jamais été aussi verte! Je vous offrirai 5 $ chaque fois que votre chien fera ses besoins sur mon terrain. ». Surpris, les enfants acceptèrent, persuadés que le voisin était un peu cinglé. Au bout d’une semaine, le voisin leur annonça qu’il manquait d’argent. « À présent, je vous donnerai 2 $ chaque fois que votre chien fera ses besoins sur mon terrain. » Déçus, les enfants acceptèrent tout de même. Au bout d’une autre semaine, le voisin leur annonça une fâcheuse nouvelle. « Les temps sont durs. Je ne peux plus vous payer. Vous pouvez tout de même continuer? ». Mécontents, les enfants refusèrent. « Pfff! On ne fera certainement pas ça gratuitement! » Et c’est ainsi que le voisin se débarrassa des enfants coquins.

Que s’est-il passé? Les enfants, qui prenaient pourtant plaisir à enquiquiner leur voisin ne sont soudainement plus motivés à le faire après le retrait de la récompense.

Cette histoire est un peu loufoque, mais elle illustre très bien l’effet négatif que peut provoquer l’ajout d’une récompense lorsqu’on prend déjà plaisir à faire quelque chose. Cet effet a été bien étudié par les scientifiques. Il semble que l’ajout d’une récompense modifie le « locus de contrôle perçu ». En français, ça veut dire que la raison pour laquelle on pose un geste change. D’une action effectuée pour le simple plaisir (locus interne), la récompense nous ferait glisser vers l’appât du gain (locus externe). La motivation intrinsèque du départ deviendrait donc une motivation extrinsèque de moindre qualité.

Les récompenses influencent notre façon de penser et de prendre nos décisions. Elles orientent notre état d’esprit vers une posture business où on juge la valeur d’une action selon une analyse coûts/bénéfices. Est-ce rentable pour moi de faire ça? Oui? Je vais le faire. Non? Tant pis, ça ne vaut pas la peine.

Un autre enjeu concerne la transférabilité ou la généralisation du comportement dans divers contextes. Si on récompense une action dans un contexte précis, il y a peu de chance que celle-ci soit effectuée à nouveau dans un autre contexte. Par exemple, si je reçois un rabais substantiel sur le prix de mon café lorsque j’apporte ma propre tasse au café étudiant, ça ne veut pas dire que je vais prendre l’habitude de l’apporter dans tous les cafés que je visite.

La pérennité des actions récompensées pose également problème. Tant et aussi longtemps que la récompense est maintenue et jugée satisfaisante, l’individu adoptera le comportement. Toutefois, dès que le nanane sera retiré, le nouveau comportement s’éteindra, et la personne reviendra à ses bonnes vieilles habitudes. On est comme ça, nous! En l’absence de contingences entre notre comportement et la conséquence, on agit moins, à moins bien sûr que l’on soit motivé-e par autre chose que l’appât du gain.

Plusieurs études empiriques démontrent ce phénomène d’extinction du comportement. Par exemple, Katzev et Bachman (1982) ont testé l’effet de quatre types de rabais sur les déplacements en autobus de 152 ménages de Portland. Après avoir établi les habitudes de transport de chaque ménage, les expérimentateurs leur ont offert des rabais pendant quatre semaines. Deux types de rabais en particulier ont eu des effets importants.

Comme on peut le voir dans la figure ci-contre, offrir une réduction inversée (50 % de rabais à partir du 5e passage) ou la gratuité a fait augmenter considérablement le taux d’utilisation de l’autobus. GÉNIAL, ÇA FONCTIONNE!

Cependant, une fois l’expérimentation terminée et les tarifs normaux revenus, le taux d’utilisation de l’autobus a nettement diminué, les citoyen-nes ayant repris leurs bonnes vieilles habitudes.

Afin de favoriser la transition vers un mode de vie durable et poursuivre la lutte aux changements climatiques, plusieurs ont recours à des incitatifs financiers et à des programmes de récompenses. Sachant que l’effet est limité dans le temps et peu généralisable, j’émettrais de sérieuses réserves quant à l’utilisation à grande échelle de ces techniques persuasives.

Faut-il totalement arrêter de récompenser les bonnes actions pour autant? Non. Si notre but est de changer un comportement précis, dans un contexte spécifique, une récompense peut être intéressante. De plus, si la récompense n’est pas monétaire (reconnaissance, appréciation, privilège) ou si elle est présentée comme un soutien aux efforts plutôt que comme but ultime du comportement, les effets négatifs seront moins présents.

Et qu’en est-il des punitions? C’est une tout autre question, à suivre dans un prochain billet!