Uapukun Mestokosho, gardienne du Nitassinan

Uapukun Mestokosho sur les berges de Muteshekau Shipu, la rivière Magpie
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Uapukun Mestokosho sur les berges de Muteshekau Shipu, la rivière Magpie ©Rita Mestokosho

15 février 2023 - Émélie Bernier, Journaliste de l'Initiative de journalisme local

L’Innue Uapukun Mestokosho est la fille de la poétesse engagée Rita Mestokosho. Celle-ci lui a transmis non seulement une intime connexion avec le territoire, mais aussi ce besoin vital d’aller à la rencontre des Autochtones du monde entier pour défendre leur mère commune, la Terre.

Uapukun a grandi sur les rives de la rivière Mingan, dans la communauté d’Ekuanitshit, sur la Côte-Nord. « La rivière est ma sœur, ma source de guérison », révèle-t-elle dans un des films réalisés grâce au Wapikoni mobile (voir l’encadré). Ces quelques mots contiennent l’essence de sa relation avec le territoire ou Nitassinan comme l’appellent les Innus et Innues.

« Je suis en contact avec la nature depuis que je suis née, me raconte-t-elle en visioconférence. J’adore l’eau, je me suis toujours baignée dans la rivière… Avec mes grands-parents, durant l’automne, tous les petits-enfants, on allait faire du camping chaque fin de semaine, chasser les oiseaux migrateurs… On vit proche de la nature, en lien avec elle. »

La nature est plus qu’un environnement pour Uapukun Mestokosho. Son beau visage lunaire encadré de longs cheveux foncés s’illumine lorsqu’elle parle des précieux moments partagés avec elle. « Quand je me sens désespérée et seule, que je vais me promener sur la plage et que je vois le dos d’une baleine émergeant de l’eau, qu’elle respire, je l’entends me dire “Je suis là, tu n’es pas seule”, et ça me ramène à l’essentiel », relate doucement Uapukun. Sur la table devant elle, de minuscules perles de toutes les couleurs attendent qu’elle les assemble en jolies boucles d’oreilles. Le perlage est un des savoir-faire hérités de ses aïeules.

 

Lorsqu’elle marche en forêt, elle est attentive à la moindre trace d’animal, aux frottements d’ailes de la perdrix, aux percussions rythmées du grand pic… « La forêt me fait du bien. »

Cette notion de bien-être associé à la nature est fondamentale dans sa vie. Pour honorer et défendre cette précieuse nature qui l’apaise, la jeune trentenaire, pourtant timide, n’hésite pas à prendre la parole.

Femme assise devant les pyramides en Égypte
Uapukun Mestokosho lors de son voyage en Égypte pour la COP 27. ©Courtoisie

On a besoin de guérison. Notre esprit a besoin de guérir, tout comme la terre a besoin de temps pour se revitaliser. Si on a perdu l’équilibre, c’est à cause des humains. Il y a urgence d’agir pour l’avenir de nos enfants.

Uapukun Mestokosho

Un engagement qui a fait tranquillement son chemin

Quand a-t-elle réalisé que protéger le Nitassinan était sa mission? « Je l’ai toujours su, d’une certaine manière. Ma mère voyage depuis que je suis toute petite pour parler de notre réalité, de notre identité, de la protection du territoire en se servant de sa poésie. J’ai l’impression que j’ai été élevée dans ce but. »

Le père d’Uapukun est un survivant des pensionnats. « Il y a ma mère d’un côté et mon père de l’autre. Il a vécu avec beaucoup de colère, mais il se bat pour notre territoire, comme sa mère, ma grand-mère, qui est une grande inspiration. Les personnes qui m’entourent m’inspirent à faire ce que je fais… »

L’engagement s’est immiscé dans sa vie, comme l’eau de la rivière imbibe le sable de sa rive. « Comme ma mère le dit, être autochtone dans le monde, aujourd’hui, est déjà une cause politique en soi, mais j’ai eu une prise de conscience quand on a fait un séjour de ressourcement sur la rivière Magpie en rafting entre femmes et jeunes pour nous reconnecter à notre identité, à comment vivaient nos ancêtres… J’ai senti un lien puissant avec mon territoire, le devoir de le protéger. »

Ce séjour suivait de peu la mise en branle du projet hydroélectrique sur la rivière Romaine, un moment qu’Uapukun évoque avec tristesse. « Ce projet a été voté en référendum quand j’avais 17 ans. Je n’ai pas eu mon mot à dire. J’ai été frustrée… »

Pourtant, elle a su canaliser cette frustration pour la muer en action, notamment avec ses films. « Le Wapikoni mobile nous a donné l’occasion de nous exprimer, de parler de la protection des rivières, du territoire. Je pense que c’est grâce à ça que je suis rendue où je suis; les films que je fais sont le moyen de mon engagement. »

Le film Shipu, réalisé à quatre mains avec sa cousine Shanice Mollen Picard, lui a donné l’occasion de voyager. « Nous sommes allées à l’ONU, dans des festivals… », énumère humblement Uapukun. Ses engagements l’ont menée aussi au Brésil, chez les Haïdas en Colombie-Britannique, et plus récemment à la COP 27, en Égypte, en raison de son implication auprès de l’Observatoire international des droits de la nature.

Uapukun à la COP 27
Uapukun à la COP 27 ©Courtoisie

Un passage furtif en politique

Approchée par Québec solidaire aux dernières élections, Uapukun a fait une campagne très discrète, sans tambour ni trompette. Elle n’a toutefois pas été élue.

La jeune femme sait que le Nitassinan qu’elle chérit est particulièrement sensible aux perturbations liées aux changements climatiques. La politique était un autre moyen d’amener le sujet à la table.

« L’érosion des berges, on la voit, on la vit ici. On n’a plus les hivers qu’on avait avant. Il y a moins de glace, les tempêtes font plus de dommages… » énumère-t-elle. Et la science lui donne raison.

Dans une étude menée par Ouranos pour le compte du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, on apprend que la glace, qui protégeait les rives, est de moins en moins présente. Et l’érosion menace non seulement les berges, mais les infrastructures et la route 138, seul axe routier reliant les municipalités de la Côte-Nord.

L‘urgence d’agir

Mais les changements climatiques ne sont pas les seuls coupables de la dégradation du territoire, rappelle Uapukun.

« La foresterie, les barrages ont défiguré l’habitat du caribou, qui est aussi notre habitat! »

Soucieuse de contribuer et consciente de son rôle de gardienne du territoire, la communauté de la jeune Innue, avec l’aide du conseil de bande, a mis en place des projets « économiques, communautaires et durables » dont un système de compostage, un jardin communautaire et un projet de cueillette et de transformation des petits fruits. De son côté, Uapukun a fait de la protection de la rivière Magpie l’un de ses principaux chevaux de bataille. En 2021, le cours d’eau, qui prend sa source au Labrador et rejoint le fleuve entre Magpie et Rivière-Saint-Jean, est devenu le premier élément naturel à obtenir le statut de personnalité juridique au pays.

Quoi qu’il en soit, Uapukun estime que le sort de sa communauté et celui du Nitassinan sont intimement liés. « On a besoin de guérison. Notre esprit a besoin de guérir, tout comme la terre a besoin de temps pour se revitaliser. Si on a perdu l’équilibre, c’est à cause des humains. Il y a urgence d’agir pour l’avenir de nos enfants. »

Uapukun Mestokosho lors de la grande marche pour le climat du 3 octobre 2019 à Montréal.
Uapukun Mestokosho lors de la grande marche pour le climat du 3 octobre 2019 à Montréal ©Jessica Bolduc

Cinéma ambulant

Cofondé en 2003 par la cinéaste Manon Barbeau, le Conseil de la Nation Atikamekw et le Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador, le Wapikoni mobile est un studio ambulant, à la fois lieu de rassemblement, d’intervention et de création audiovisuelle et musicale, qui se déplace dans les communautés afin d’offrir aux jeunes Autochtones les outils qui leur permettent de réaliser tant des courts métrages que des œuvres musicales.

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