Avant de produire plus d’énergie, il faut utiliser l’énergie déjà disponible. C’est pour cette raison que la Ville de Saint-Félicien construit un réseau de chaleur qui valorisera des millions de litres d’eau chaude qui étaient jusqu’ici gaspillés.
Il se prépare une petite révolution énergétique au Saguenay—Lac-Saint-Jean. Basée à Saint-Félicien, l’usine de cogénération Greenleaf Power, qui produit depuis 1999 de l’électricité à partir de la biomasse forestière résiduelle, génère aussi quelque 50 000 litres d’eau chaude par minute. Une mine d’or bleu qui jusqu’à maintenant était inexploitée, explique le directeur de l’usine, Pascal Turcotte : « Cette quantité d’eau représente un potentiel d’environ 30 mégawatts d’énergie réutilisable, mais il n’y avait pas de réseau pour distribuer cette énergie. »
Ce sera bientôt chose du passé. D’ici l’automne 2023, grâce à des investissements de 3,9 millions de dollars des gouvernements fédéral, provincial et municipal, un réseau de canalisation sera construit afin de distribuer cette eau chaude à des industries locales. Cette symbiose industrielle (voir encadré) sera la propriété de la Ville de Saint-Félicien, qui vendra l’énergie aux entreprises afin de réduire leur utilisation des énergies fossiles.
« On veut promouvoir de nouvelles entreprises en bioéconomie et cet investissement est un point tournant vers une nouvelle économie circulaire à Saint-Félicien, souligne le maire de la ville, Luc Gibbons, qui rêvait de ce projet depuis longtemps. Quand les rejets de l’industrie deviennent un intrant important pour une autre, c’est une belle façon de faire du développement durable. »
En effet, la quantité d’énergie qui circulera dans le réseau de chaleur représente l’équivalent de 14 millions de mètres cubes de gaz naturel par an, souligne Jean-Marie Niget, agronome et consultant expert sur le projet d’usine de cogénération et de valorisation thermique depuis 1997. Cette source énergétique a le potentiel d’éviter le rejet de 13 900 tonnes d’équivalent CO2, ce qui équivaut au retrait de près de 3500 véhicules légers des routes pendant une année.
Il y a des tonnes de défis sur le chemin de la transition énergétique, qui seront encore plus gros si on ne regarde pas globalement quelles sont les options possibles, comme récupérer de la chaleur déjà produite.
Valoriser l’énergie avant d’en produire
Pour comprendre d’où vient cette eau chaude, il faut savoir que l’usine de cogénération de Saint-Félicien produit de l’électricité à partir d’écorces de bois. Ces résidus de sciage sont traditionnellement stockés dans des sites spécifiques où ils se décomposent et produisent du méthane, un puissant gaz à effet de serre, et du lixiviat, un liquide provenant de la percolation des eaux de pluie dans les résidus et contenant plusieurs composés nocifs pour l’environnement. L’usine s’attaque toutefois à ce problème et valorise plutôt ces écorces en les brûlant pour générer de la vapeur qui, elle, actionne une turbine afin de produire près de 175 000 mégawatts d’électricité par an à Saint-Félicien.
Depuis plusieurs années, la vapeur est aussi valorisée dans les séchoirs de l’usine de sciage de Produits forestiers Résolu, située à proximité. L’eau chaude est quant à elle cédée à la Ville de Saint-Félicien afin d’améliorer le rendement énergétique de son usine de cogénération, tout en devenant un moteur de développement industriel, explique Pascal Turcotte.
Lire aussi : Valoriser la biomasse jusqu’au dernier résidu
Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, appuie le développement régional de cette symbiose industrielle, car il croit qu’il faut d’abord valoriser l’énergie des résidus déjà en place avant de construire de nouveaux réseaux énergétiques. « Il y a des tonnes de défis sur le chemin de la transition énergétique, qui seront encore plus gros si on ne regarde pas globalement quelles sont les options possibles, comme récupérer de la chaleur déjà produite », dit-il, en citant la Carte des rejets et des besoins thermiques produite par le gouvernement du Québec.
Vers une vallée de la bioéconomie?
Depuis quelques années, la MRC du Domaine-du-Roy, où est située Saint-Félicien, souhaite créer la vallée de la bioéconomie (voir encadré) en favorisant des projets innovants sur ce territoire.
« Le réseau de chaleur est une pièce importante qui nous permet de consolider notre positionnement pour devenir un leader dans la bioéconomie au Québec », soutient Yanick Baillargeon, préfet de cette MRC.
En effet, plusieurs promoteurs attendaient ce réseau de chaleur pour lancer divers projets qui généreront des investissements de plusieurs millions de dollars à Saint-Félicien.
Par exemple, le Centre de valorisation de la biomasse, un projet mené conjointement par l’Agence de gestion intégrée des ressources (AGIR) et l’usine de cogénération Greenleaf Power, souhaite mettre en valeur 60 000 tonnes de biomasse forestière résiduelle souvent mal-aimée par l’industrie en récupérant notamment les cimes des arbres en forêt.
Alors que l’écorce sera brûlée à des fins énergétiques, la fibre sera transformée en broyat sous la forme de granules ou de plaquettes. Ces granules pourront ensuite remplacer le mazout dans des procédés industriels, ou être pyrolysées, c’est-à-dire brûlées à haute température sans oxygène. Ce bois pyrolysé, appelé biocharbon ou biochar, sert entre autres de fertilisant agricole et d’activateur à la séquestration de carbone dans les sols.
CharTech Solutions, une entreprise ontarienne qui produit du biochar, souhaite aussi s’implanter à Saint-Félicien. Elle y produirait également du gaz naturel renouvelable (GNR) — de l’hydrogène vert — qui serait intégré dans le réseau d’Énergir, explique le président de Char Technologies, Andrew White.
« Le réseau de chaleur est un modèle particulier et innovateur qui permet d’intégrer un réseau de chaleur, un centre de valorisation de la biomasse et d’autres entreprises pour créer de la valeur avec des rejets thermiques, résume Dino Mili, gestionnaire d’actifs pour Greenleaf Power. On met en action l’économie circulaire. »
Un peu de vocabulaire
Une symbiose industrielle est un réseau d’au moins deux entreprises ou collectivités qui mutualisent leurs ressources matérielles et immatérielles. Par exemple, le résidu d’une entreprise devient une matière première de l’autre. Ou des entreprises partagent des services. D’innombrables déclinaisons sont possibles.
Source : Québec Circulaire
La bioéconomie englobe tous les secteurs et systèmes reposant sur des ressources biologiques (animaux, plantes, microorganismes et biomasse dérivée, y compris les déchets organiques), leurs fonctions et principes. Elle comprend et connecte : les écosystèmes terrestres et marins et les services qu’ils offrent; tous les secteurs de production primaire qui utilisent et produisent des ressources biologiques (agriculture, foresteries, pêches et aquaculture); tous les secteurs économiques et industriels qui utilisent les ressources biologiques et les transforment pour produire de la nourriture humaine et animale, des bioproduits, de l’énergie et des services.
Source : Biotech