En France, la métropole de Lille offre aux automobilistes une compensation de 2 € (environ 3 $) par trajet évité aux heures de pointe. Une solution pour désengorger les routes québécoises?
La lutte à la voiture solo pour désengorger les métropoles est lancée. En France, grâce au soutien de l’Union européenne et du gouvernement français, la Métropole européenne de Lille (MEL), dans le nord du pays, expérimente depuis septembre 2023 ce qu’elle appelle l’Écobonus ou « péage positif ». Au lieu de pénaliser les automobilistes avec une taxe, elle les indemnise pour chaque trajet « effacé ». Une façon positive de modifier les comportements.
Changer ça rapporte!
Changer ça rapporte, c’est le nom de l’opération lancée il y a quelques mois. L’idée vient d’une initiative similaire mise en place à Rotterdam, aux Pays-Bas, voilà une dizaine d’années, explique Pauline Hennebelle, cheffe de projet Écobonus et Zone à faibles émissions à la MEL. Le programme a fait ses preuves là-bas, ce qui a convaincu le président de la MEL, Damien Castelain, de faire le test.
Avec environ deux millions de voitures qui transitent par la métropole chaque jour, l’essai était tentant! Le programme vise à réduire de 6 % le nombre de voitures sur certains axes routiers – entre 7 h et 9 h et 16 h 30 et 18 h 30 – en offrant une compensation de 2 € (environ 3 $) par trajet évité (pour un maximum de 80 € par mois).
« On s’est rendu compte qu’avec 6 % d’effacement, cela permettait de réduire la congestion routière de façon à passer d’un trafic saturé à une situation dense, sans véhicules à l’arrêt », raconte Pauline Hennebelle. Si l’objectif se concentre sur la circulation, on cherche aussi à diminuer les GES et la pollution : « Lorsqu’on a des voitures en circulation, ça a un effet sur la qualité de l’air, c’est lié d’une certaine manière. »
Le 19 avril dernier, la MEL a annoncé qu’elle avait atteint sa cible et qu’elle allait appliquer l’initiative à d’autres tronçons routiers. Ce projet d’envergure, qui se déploie en plusieurs phases, du recrutement des participantes et participants à l’analyse des données et à la mesure des retombées, bénéficie d’un budget total de 11,3 M€, soit presque 17 M$.
Allier l’utile à l’agréable
Ceux et celles qui souhaitent participer au programme s’inscrivent sur une base volontaire et une sélection est ensuite effectuée en fonction des profils recherchés, notamment selon l’adresse du domicile et celle du lieu du travail. Il fallait éviter toute fraude, et ce processus s’est avéré fastidieux, mais nécessaire, justifie Pauline Hennebelle
Christophe Verecque vit à Avelin, un village de 2000 âmes situé à environ 15 km de Lille, où il travaille depuis bientôt 30 ans. Autant dire que les embouteillages aux heures de pointe, il connaît ça. Il met de 45 à 90 minutes matin et soir pour aller au travail et en revenir. Avelin, toutefois, ne fait pas partie géographiquement de la MEL, donc le réseau de transport collectif ne va pas jusque chez lui.
Avec l’accord de son employeur, Christophe a aménagé ses horaires. Il continue donc de se rendre à son travail en voiture solo, mais à des heures différentes. En consultant le compteur de l’application mobile qui lui permet de déclarer ses trajets, il voit qu’il a évité 195 déplacements aux heures de pointe. En plus de passer moins de temps sur la route – de 20 à 45 minutes au maximum –, il a gagné 390 € depuis le lancement du programme, soit environ 570 $.
Mais pour lui, le plus gros avantage est sans conteste le gain de temps. C’est aussi l’avis de Louise Greco, qui habite la petite ville d’Attiches, à une vingtaine de kilomètres du Vieux-Lille, où elle travaille. Un avantage auquel s’ajoute une diminution de la fatigue et du stress liés au trafic : « Passer une heure, voire une heure et demie le matin et le soir pour aller au travail, c’est beaucoup », s’exclame-t-elle.
Depuis son inscription, elle a évité 49 trajets, pour un montant de 100 €, soit environ 150 $. Le virement se fait sur le compte bancaire, à chaque palier de 80 €. Les deux volontaires n’ont cependant pas changé leur mode de transport, et continuent d’utiliser la voiture solo. Ils affirment tous deux être prêts à conserver ce nouvel emploi du temps, même après la fin du projet pilote.
Un écobonus au Québec?
« On parle peu au Québec de ce genre d’idée là, pourtant ce serait des solutions à des problèmes qu’on a ici aussi », déclare Samuel Pagé-Plouffe, directeur des affaires publiques et gouvernementales de Vivre en Ville.
L’Écobonus de la MEL est une forme de tarification routière, explique-t-il, mais qui est faite en douceur, car c’est un programme qui s’appuie sur l’implication de volontaires, que l’on va récompenser au lieu de sanctionner. C’est une très bonne manière d’introduire une tarification pour une meilleure utilisation des réseaux routiers.
Selon le spécialiste, qui est également coordonnateur de l’Alliance TRANSIT, une telle mesure, si on l’adaptait à la grande région de Montréal, devrait être accompagnée d’une bonne desserte ou d’une amélioration de l’offre en transport collectif. En effet, il faut proposer des solutions de rechange à la population, ce qui est un enjeu ici au Québec où les options de transport en commun sont limitées.
De son côté, Jean-Philippe Meloche, professeur spécialisé en économie urbaine de l’Université de Montréal, émet plus de réserves : « Pour les questions de congestion, les mesures punitives sont plus efficaces que les mesures de récompenses », explique-t-il. Il précise que l’analyse des données est primordiale afin d’évaluer les résultats et de s’assurer qu’on ne perd pas d’argent. « Par expérience, on sait que ce sont des programmes qui coûtent cher, et les impacts réels ne sont pas toujours positifs. »
Toutefois, des initiatives réussies de tarification routière déployées à Stockholm, à Londres et à Singapour ont fait leurs preuves par le passé. Et quelle que soit la forme, péage ou bonus, les mesures d’écofiscalité méritent d’être essayées.