Mirella Aoun rêve d’un Québec où la production maraîchère durable serait la norme. C’est pourquoi elle consacre ses recherches aux innovations qui permettent de réduire l’utilisation des pesticides. Portrait d’une chercheuse haute en couleur.
Protéger les plantations maraîchères avec des filets colorés peut paraître pour le moins… anodin. Mais clairement pas aux yeux de Mirella Aoun. Cette professeure agrégée au programme en agriculture et systèmes alimentaires durables de l’Université Bishop’s se passionne pour ces barrières protectrices qui agissent contre les insectes nuisibles et les maladies tout en rendant les cultures plus résilientes face aux changements climatiques.
Cette volonté de changer les choses ne date pas d’hier. Elle raconte que c’est lors d’un stage en France dans un verger de pommiers, qu’elle a eu sa première prise de conscience. Elle avait 18 ans. « Je constatais que plein de belles pommes étaient tombées de l’arbre. Toutes celles qui étaient un peu endommagées ou de trop petite taille étaient jetées, se souvient-elle. Alors que plein de gens meurent de faim dans le monde, on était en train de se débarrasser d’aliments tout à fait bons. »
Lutter contre le gaspillage alimentaire paraît une évidence quand on a, comme elle, vécu au Liban les privations et la guerre. Mais ce n’était pas là son seul constat : la quête du fruit parfait qui répond aux critères commerciaux conduit aussi nombre de producteurs et de productrices à utiliser des pesticides. « Et plus je poussais mes études et faisais des stages, plus je m’exposais à la réalité et aux défis de l’agriculture, et plus j’enchaînais ces prises de conscience », souligne-t-elle.
Des fruits de meilleure qualité
Au Québec, les fraises et les framboises sont particulièrement prisées. Très souvent, elles poussent grâce à de nombreux pesticides qui protègent les récoltes contre différents insectes ravageurs. « Mais en utilisant ces molécules chimiques, on risque de contaminer l’environnement et de se ramasser avec des résidus dans notre alimentation », prévient Mirella Aoun. Ces produits peuvent alors avoir des conséquences à la fois sur la santé humaine, sur celle des animaux et sur la nature.
À la tête d’une équipe de recherche pluridisciplinaire, Mirella Aoun s’affaire donc à mettre sur pied des solutions de rechange physiques, dont des filets rouges, blancs ou bleus, qui ont des vertus insoupçonnées. En avril dernier, elle a reçu près de 950 000 $ en subventions sur trois ans de la part du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies. « C’est un projet qui aura un impact important pour le développement des cultures sans pesticides », se réjouit la chercheuse. Un objectif tout à fait en accord avec le Plan d’agriculture durable du Québec.
Pour remédier à l’utilisation des pesticides dans la production de fraises et de framboises dans la province, l’équipe met au point des filets qui filtrent la lumière et tiennent les cultures à l’abri de l’eau. Le projet de recherche servira également à mieux comprendre les réticences des agriculteurs et agricultrices, pour cerner ce qui pourrait les conduire à adopter plus facilement ces nouveaux outils dans leur exploitation. L’équipe multidisciplinaire prévoit enfin d’analyser le cycle de vie des filets afin d’en évaluer l’impact environnemental. L’idée d’ensemble est de faire de cette solution physique un choix qui est bénéfique pour la santé (des sols, des cultures et des humains), tout en étant économiquement et écologiquement viable.
Lire aussi : Des citrons et des oranges… du Québec!
Une expérience sur trois continents
Celle qui désire lancer une petite révolution dans le monde agricole québécois est bien équipée pour le faire. Née au Liban, Mirella Aoun a un parcours impressionnant. Après des études en génie agronome dans son pays d’origine, elle s’est envolée pour la France, où elle a obtenu une maîtrise en écologie microbienne à Lyon. C’est en 2002 qu’elle s’installe finalement au Québec pour y entamer un doctorat en sciences forestières à l’Université Laval. « C’était un rêve pour moi qui s’est réalisé », confie-t-elle au sujet de son immigration dans la belle province.
Après des travaux postdoctoraux à Agriculture et Agroalimentaire Canada, elle devient chargée de projet en culture fruitière au Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB). Les recherches qu’elle y mène lui donnent l’occasion de vivre des expériences sur le terrain en compagnie de producteurs et productrices du Québec. Après son passage au verger expérimental en agriculture biologique du CETAB, elle est nommée directrice scientifique de la Ferme éducative du centre.
Elle peaufine ensuite son anglais en acceptant un poste de professeure invitée à l’Université américaine de Beyrouth, dans son pays natal. Pendant cinq ans, elle y enseigne l’horticulture et coordonne un programme multidisciplinaire de recherche en développement durable. De son propre aveu, Mirella Aoun croit être née sous une bonne étoile. « C’est comme si chaque événement dans ma vie me préparait au prochain », dit-elle. Ainsi, ses années passées à enseigner en anglais lui ont permis il y a trois ans de décrocher un poste à l’Université Bishop’s de Sherbrooke.
Son expérience diversifiée l’a amenée à découvrir plusieurs facettes de l’agriculture durable. « C’est sûr qu’en passant du Sud au Nord, on a des climats différents. Mais il y a aussi des défis communs. Quand on voit les contrastes, on est à même de mieux comprendre certaines choses », fait-elle valoir. Son rêve? « Que l’agriculture durable ne soit pas une niche au Québec, mais devienne vraiment celle [qu’on pratique] par défaut! »