
« Si les femmes ne sont pas à la table, c’est qu’elles se retrouvent au menu. » Guidée par cette métaphore, la Française Souba Manoharane-Brunel a fondé Les Impactrices en 2017, une communauté de femmes engagées dans la transition écologique.
Malgré les 5000 km et une connexion Internet instable qui séparent ses bureaux de Paris à ceux d’Unpointcinq, l’énergie contagieuse de la militante est palpable. La fondatrice de l’organisation a trouvé sa vocation, il n’y a aucun doute.
« Le déclic pour créer Les Impactrices est venu pendant mon congé de maternité, j’avais le luxe du temps à ce moment, raconte-t-elle avec un grand sourire. Je lisais le rapport du GIEC dans lequel il était expliqué à quel point les femmes étaient disproportionnellement touchées par les changements climatiques. »
Souba Manoharane-Brunel fait ici référence aux différentes études qui montrent que la crise climatique provoque un plus grand stress économique sur les femmes et, par conséquent, affecte leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire.
À cette époque, elle venait de passer une décennie dans le milieu de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et du développement durable, à l’emploi de grandes compagnies. Des expériences professionnelles qui ont nourri sa réflexion.
« La plupart du temps, il n’y avait qu’une femme ou deux présentes autour de la table pour prendre des décisions importantes, remarque-t-elle. Les femmes étaient non seulement les plus touchées, mais elles étaient aussi exclues de la recherche de solutions. Cette équation n’avait pas de sens. »
« Nous voulons créer un espace où l’on cesse de douter de la légitimité des femmes à entreprendre dans le secteur de l’environnement. »
Plus fortes lorsque réunies
Pour Mme Manoharane-Brunel, la solution passait par la force du collectif. C’est ainsi qu’est née la communauté Les Impactrices, qui a pour objectif de connecter, d’inspirer et d’accompagner ses membres dans leur projet d’action climatique.
« C’est un collectif de femmes engagées pour le climat, résume-t-elle simplement. Nous créons des outils, des événements et des formations qui permettent de promouvoir la place des femmes pour accélérer la transition écologique. »
Les activités des Impactrices sont multiples, dont l’organisation d’ateliers où des expertes du climat et de l’entrepreneuriat viennent partager leurs connaissances. Des sessions de mentorat sont aussi mises en place pour accompagner les porteuses de projets dans leur structuration et leur développement.
« Nous voulons créer un espace où l’on cesse de douter de la légitimité des femmes à entreprendre dans le secteur de l’environnement », déclare-t-elle fièrement.
Entrepreneuse dans l’âme, la Française rappelle qu’un des freins au leadership féminin est l’accès au financement. Selon le fournisseur de données Dealroom.co, les jeunes entreprises fondées et cofondées par des femmes représentaient moins de 10 % de l’ensemble du capital-risque levé en Europe en 2023.
« Le collectif agit aussi comme un levier de visibilité pour ces entrepreneuses, leur permettant d’intégrer des réseaux stratégiques et de présenter leurs solutions à des investisseurs potentiels », ajoute celle qui est régulièrement invitée à faire des conférences.
À ce jour, les Impactrices ont accompagné plus de 400 femmes dans leurs projets, et ont organisé plus de 150 événements en sol européen, dont un festival annuel, et sont suivies par des dizaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux.
Une déconnexion des élites
Souba Manoharane-Brunel a grandi en banlieue parisienne, dans une famille indienne. Son visage s’illumine lorsqu’elle parle de son enfance « pleine de couleurs » où les valeurs écologiques étaient ancrées dans le quotidien.
« On faisait de l’écologie de bon sens, lance-t-elle en riant. De par nos moyens, mais aussi notre culture, on réutilisait tout, on faisait attention à ne pas gaspiller. Pour nous, ce n’était pas une question de sauver la planète, mais juste de faire ce qui était logique. »
La jeune adulte a quitté le nid familial pour rejoindre une école de commerce à Paris. Une première « claque » pour elle, qui n’avait jamais fréquenté un établissement prisé « par l’élite française ».
« J’arrivais d’un milieu cosmopolite, un mélange de cultures où l’esprit d’entraide était important, voire essentiel, explique-t-elle. J’ai eu un gros choc culturel en arrivant à Paris, dans un univers monochrome avec une élite socio-économique et culturelle. »
C’est à ce moment que l’étudiante a réalisé qu’il y avait une déconnexion entre les idéaux prônés par ses collègues de classe et leur mode de vie. Le regard que ses camarades — destinés à être les leaders de demain — portaient sur les problématiques sociales et environnementales lui semblait fortement teinté par leur classe sociale et les privilèges qui s’y rattachent.
« La majorité de ma classe n’avait aucune idée de ce que c’était de vivre en banlieue, de faire partie d’une classe sociale différente, avance-t-elle. Cette déconnexion que j’ai observée a été le fil conducteur de mon activisme et de ma motivation à œuvrer pour une plus grande justice environnementale. »
Souba Manoharane-Brunel est extrêmement occupée de nos jours. Entre son implication avec Les Impactrices, son travail avec les entreprises et — bien sûr — son rôle de maman, ressent-elle parfois une fatigue militante ?
« C’est sûr que certains jours sont plus difficiles. Mais si j’ai besoin de me reposer, de me recharger, d’autres personnes prendront le relais, et vice-versa. C’est ça la puissance du collectif, nous ne sommes jamais seules », conclut-elle, encore une fois avec un sourire confiant.
Cet article provient d’un cahier spécial “Développement durable” publié par le quotidien Le Devoir.