À Matane, un groupe d’acteurs économiques et de chercheurs pense avoir trouvé une solution pour que les dépotoirs de demain ne soient pas jonchés de vieilles pales d’éoliennes : les recycler dans le béton!
Les éoliennes font partie du décor du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, mais pour combien de temps encore? Plusieurs de ces grandes dames de fer arrivent – déjà – à la fin de leur durée de vie utile qui est de 20 à 25 ans. C’est notamment le cas des 132 éoliennes des parcs Le Nordais à Cap-Chat et à Saint-Ulric-de-Matane, les premiers aménagés au Québec à la fin des années 1990. D’ici peu, leurs trois immenses pales de plusieurs tonnes chacune prendront le chemin des sites d’enfouissement environnants, faute de solutions pour les recycler.
Or, la fibre de verre qui les constitue à 75 % mettra une éternité à se dégrader, tandis que la résine de polyester, un composé toxique qui représente environ 20 % de leur poids, contaminera les sols et éventuellement les nappes phréatiques. Résultat : un gâchis environnemental qui risque fort de se répéter dans d’autres régions dans les prochaines décennies. En effet, à l’heure actuelle, on compte quelque 6700 éoliennes au Canada, dont 2000 au Québec, affirme l’Association canadienne de l’énergie éolienne.
Du « béton éolien »
En Matanie, un groupe composé d’acteurs économiques locaux et de chercheurs d’ici croit avoir mis le doigt sur LA solution. Curieusement, c’est dans le béton que les pales d’éoliennes pourraient trouver une deuxième vie, selon Luc Massicotte, conseiller en écologie industrielle et responsable du projet d’économie circulaire Synergie Matanie, rattaché à la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) de la région de Matane.
« L’idée initiale était de déchiqueter les pales et d’intégrer cette matière au béton afin d’en remplacer certains ingrédients, comme le ciment de Portland. Il fallait néanmoins prouver la validité de ce procédé », raconte-t-il. Une première étude a donc été lancée à la fin de 2018 en partenariat avec le Groupe Bouffard de Matane, entreprise spécialisée dans la récupération des matières résiduelles, et une équipe de l’Université de Sherbrooke pilotée par Radhouane Masmoudi, professeur en génie civil.
De toutes les recettes de béton étudiées, c’est celle contenant 1,25 % de fibre de pales d’éoliennes qui a livré les meilleures performances.
« Nous avons d’abord broyé les pales de manière à obtenir trois formes d’agrégats, soit de gros granules, de la fibre semblable à de la laine et de la poudre très fine. Par la suite, nous avons intégré ces sous-produits à divers mélanges de béton dont nous avons ensuite évalué les propriétés mécaniques, comme la résistance à la compression et à la traction », explique le professeur, qui est aussi spécialiste des matériaux composites.
De toutes les recettes de béton étudiées, c’est celle contenant 1,25 % de fibre de pales d’éoliennes qui a livré les meilleures performances. « Nous avons noté une augmentation de 15 % de la résistance en flexion, ce qui indique qu’il est capable de supporter une certaine déformation. Mieux encore : le béton a préservé ses capacités en écrasement, ce pour quoi il est principalement utilisé, comme dans les travaux de pavage », poursuit Radhouane Masmoudi, qui se dit agréablement surpris par les résultats de ce projet pilote.
Un enjeu mondial
Encouragés par ces conclusions préliminaires, le constructeur d’éoliennes LM Wind Power, basé à Gaspé, le fabricant Béton Provincial et la Ville de Matane se sont joints au groupe de recherche, qui a lancé, au printemps 2020, la phase 2 du projet. D’une durée de trois ans, cette étape vise à optimiser la recette de « béton éolien », notamment en y ajoutant des adjuvants chimiques comme la fumée de silice. On songe aussi à tester la résistance de ce nouveau béton en coulant des trottoirs ou des ponceaux, par exemple.
« À terme, Matane pourrait même devenir une vitrine technologique internationale dans le domaine de la revalorisation des pales d’éoliennes, voire de l’ensemble des produits à base de fibre de verre », soutient Luc Massicotte.
L’enjeu, il faut le dire, est mondial : Synergie Matanie calcule qu’aux États-Unis, 844 000 tonnes métriques de pales d’éoliennes seront en fin de vie d’ici 2041. En les recyclant dans le béton, on éviterait l’émission de 791 000 tonnes d’équivalent CO2, ce qui correspond au retrait d’environ 168 000 voitures de la circulation pendant un an.
De quoi avoir le vent dans les pales!