Poussé dans ses derniers retranchements par l’exploitation forestière et les prédateurs, le caribou forestier est confronté à un destin qui divise, ce qui n’a pas empêché le gouvernement du Québec de lui consacrer une aire de protection pour freiner sa disparition et protéger au passage un puits de carbone de 10 000 km2.
D’ambitieux objectifs de protection du territoire
Avec cette annonce, la proportion de territoire terrestre et d’eau douce protégée au Québec (cible de 17 %) atteindra ainsi 11,1 % et celle du territoire du Plan Nord (cible de 20 % en 2020) atteindra 12,4 %. Les projets de réserves déjà annoncés sont inclus dans ces pourcentages.
« Créer des aires protégées pour préserver des écosystèmes essentiels à une multitude d’espèces, mais plus particulièrement à celles qui sont en danger, c’est contribuer à renverser la vapeur. » – Isabelle Melançon, ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC)
Source : Gouvernement du Québec
Le climat n’apparaît toutefois pas sur la liste des facteurs du déclin de l’animal. « Les CC sont rarement la seule menace qui pèse sur une espèce; ils s’ajoutent à d’autres perturbations, comme la dégradation de leur territoire », précise Robert Siron, coordonnateur des programmes Écosystèmes et biodiversité et Environnement nordique chez Ouranos.
Selon lui, si les aires protégées permettent à la biodiversité d’être plus résiliente, elles offrent aussi au gouvernement la possibilité d’atténuer l’impact des gaz à effet de serre (GES) : « On joue sur les deux tableaux : en protégeant une partie de la forêt boréale, on conserve les tourbières, les milieux humides et les forêts, soit des écosystèmes qui captent et stockent beaucoup de carbone. »
Qui est le caribou forestier?
Martin-Hugues St-Laurent, professeur titulaire en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), estime qu’il reste entre 5 500 et 8 000 caribous forestiers dans la Belle Province. Des bêtes qui vivent en très faible densité (un à trois individus par 100 kilomètres carrés) et qui se reproduisent lentement, à raison d’un faon par année, voire aux deux ans.
Notre aménagement forestier depuis une quinzaine d’années n’a fait qu’accélérer le déclin du caribou forestier au Québec.
Les coupes forestières ont de grandes répercussions sur la vie de l’animal, puisque la jeune forêt qui repousse ensuite est favorable à l’orignal, qui se reproduit plus vite et se nourrit essentiellement des mêmes nutriments. L’orignal attire également davantage de prédateurs, dont le loup gris et l’ours noir. À cette menace s’ajoute celle des feux de forêts, qui détruisent le lichen, à la base de l’alimentation du caribou forestier.
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Les populations de caribous déclinent, à un point tel qu’en 2012, le gouvernement fédéral a sommé le gouvernement québécois d’agir. « La loi canadienne sur les espèces en péril est une loi parachute qui agit comme filet de sécurité quand les provinces ne font pas leur travail », dit Martin-Hugues St-Laurent, qui trouve que Québec a manqué de leadership dans le dossier.
Les avantages de protéger le caribou forestier sont nombreux, car il s’agit d’une espèce parapluie, qui a besoin de grands espaces pour vivre. « Sauver le caribou revient à sauver l’intégralité de la biodiversité en forêt boréale », peut-on lire sur le site de l’organisme Boréalisation, qui milite pour sa survie.
La superficie est un facteur déterminant dans l’efficacité d’une zone de protection, selon Robert Siron, qui a participé en 2013 à un projet de recherche d’Ouranos portant sur « l’adaptation aux CC du design et de la gestion du réseau d’aires protégées au Québec ». L’une des solutions avancées par son équipe était de voir grand quand vient le temps de préserver le territoire. « Une aire trop petite est plus vulnérable aux CC et ne prend pas en considération les liens entre toutes les espèces », soutient-il.
Chose certaine, le caribou forestier est en train de devenir l’emblème de la préservation de la forêt boréale. « En plus de sa valeur charismatique et émotive, et de sa valeur culturelle pour les Premières Nations, la protection de son habitat bénéficie à plusieurs espèces, comme les oiseaux forestiers et les insectes », indique Martin-Hugues St-Laurent, qui nous invite à nous retrousser les manches et à relever collectivement le défi de sa conservation.