Construire en bois pour combattre les changements climatiques au Québec? Des chercheurs québécois tentent de prouver que ce serait efficace. Et leurs résultats préliminaires sont encourageants.
Le bâtiment des Habitations Trentino de la Cité Verte, à Québec, cache bien son jeu. Avec sa forme de boîte à chaussures et ses murs extérieurs brun-rouge, l’immeuble de 20 logements de cet écoquartier situé dans Saint-Sacrement est on ne peut plus banal. Au premier coup d’œil, rien ne permet de croire qu’il est au cœur de l’action face aux changements climatiques.
Cela tient à sa structure composée à la fois de panneaux et de madriers (ou « 2 x 4 ») en bois massif, un matériau qui a la capacité de séquestrer le gaz carbonique de l’atmosphère. En prime, cette ressource locale et renouvelable demande relativement peu d’énergie pour être transformée puis transportée jusqu’au chantier sous forme de poutres, d’arches et de murs préfabriqués. Sur place, l’assemblage de ces répliques de blocs Lego nécessite peu de main-d’œuvre, ce qui réduit notamment la quantité de rebuts générés ainsi que les allées et venues sur le chantier. Ce dernier point a son importance, car la valse des camions de livraison génère beaucoup de gaz à effet de serre (GES)!
Bref, construire en bois, c’est winner. Mais à quel point? Dans une étude parue l’automne dernier dans Sustainability, une revue scientifique en libre accès qui publie sur les changements climatiques, des chercheurs québécois ont chiffré ce potentiel de réduction des GES. Pour ce faire, ils ont analysé l’empreinte carbone du bâtiment K, puis ils l’ont comparée à celle d’un immeuble de taille semblable, mais construit en ossature d’acier ou de béton. Résultat : une réduction de 25 à 38 % des GES par mètre carré pour la construction en bois, selon les divers scénarios étudiés.
« C’est énorme! » s’exclame Pierre Blanchet, titulaire de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval et l’un des trois coauteurs de l’étude. « Si on applique cette logique à l’ensemble des nouvelles mises en chantier au Québec, cela représente un grand potentiel de réduction des GES. D’autant plus que ces modifications passent inaperçues aux yeux des gens. »
Selon certaines estimations, cela permettrait d’atteindre jusqu’à 35 % de la cible de réduction que s’est fixée la province pour 2030, poursuit le professeur. De quoi donner raison au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui considère le bois comme l’une des solutions pour lutter contre les changements climatiques.
L’exception québécoise
Et ces prévisions ne sont pas exagérées. Au Québec, l’industrie de la construction contribue largement aux deux principaux secteurs d’émission de GES, soit les transports (43 %) et l’industrie (30,1 %). L’utilisation des bâtiments (chauffage, éclairage, etc.) se classe au troisième rang, avec 10,8 % des émissions de GES. Notre situation est assez unique : le Québec est l’un des seuls endroits sur Terre où la période d’exploitation d’un bâtiment est moins polluante que sa construction et son recyclage!
C’est grâce à notre bouquet ou « mix » énergétique, constitué à 99 % de sources renouvelables, principalement d’hydroélectricité. « Sans diminuer l’importance de l’efficacité énergétique, disons que ses portées sont limitées. En termes de bénéfices immédiats pour le Québec, c’est à peu près nul », explique Pierre Blanchet. Dans ce contexte, agir sur les matériaux et les procédés de construction serait donc beaucoup plus efficace qu’investir dans des fenêtres Energy Star.
« De bon, le bilan pourrait devenir excellent du jour au lendemain. »
Mais encore faut-il le prouver. À l’heure actuelle, il est impossible d’extrapoler les résultats du bâtiment des Habitations Trentino à l’ensemble du Québec, prévient Ben Amor, directeur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie durable et en écoconception de l’Université du Sherbrooke. « Il n’existe pas de modélisation de l’ensemble du parc immobilier québécois à partir de laquelle mener des analyses de cycle de vie et projeter des scénarios », déplore cet autre coauteur de l’étude.
Pierre Blanchet et Ben Amor ont donc mandaté deux de leurs étudiants au doctorat pour combler ce manque criant. Leur mandat, qui consiste essentiellement à colliger des statistiques et des données éparpillées aux quatre vents, est pour le moins fastidieux. Mais le jeu en vaut la chandelle, insiste Ben Amor. « Nous pourrons répondre à des questions comme : quelle est la quantité réelle de bois dans le parc immobilier du Québec? Et, surtout : qu’est-ce qu’une forte augmentation de son utilisation dans la construction implique? »
Resserrer la comptabilité
Il y a fort à parier que les réponses à ces questions – attendues dans quelques années – fourniront de précieuses munitions aux décideurs. À commencer par le gouvernement du Québec, qui met déjà en place des moyens concrets pour promouvoir l’utilisation du bois dans la construction par l’entremise de sa Charte du bois. Plus important encore : elles permettront de mieux estimer l’impact environnemental de la filière du bois et de ses sous-produits, qu’on établit pour l’instant à environ 3 % de la cible de réduction des GES du Québec d’ici 2030.
Un chiffre ridiculement bas, pense Pierre Blanchet. « On tient peu compte de cette variable dans les calculs d’émission de GES, ce qui occasionne une sous-estimation du bilan écologique du Québec. » Selon lui, une meilleure comptabilité permettrait à la province de se rapprocher de sa cible de réduction de 35%. « De bon, le bilan pourrait devenir excellent du jour au lendemain. Le positionnement du Québec à l’échelle internationale s’en trouverait alors amélioré. »
La beauté dans tout ça, c’est que la province dispose des ressources forestières nécessaires pour entreprendre ce virage à la fois écologique, mais aussi socioéconomique, puisque plusieurs de ses régions dépendent de l’exploitation forestière pour vivre. « Les trois piliers du développement durable sont l’économie, la société et l’environnement. Avec la construction en bois, on est au centre de ce concept », conclut Pierre Blanchet.
Ça donne soudainement envie de vivre dans une boîte à chaussure.
Le bois, c’est winner
Dans sa publication L’avantage environnemental des systèmes de construction en bois dans le contexte des changements climatiques, Cecobois – un centre d’expertise sur la construction en bois – compare l’empreinte carbone de trois types d’ossature (bois, acier et béton) pour des murs offrant un degré de résistance au feu d’au moins 45 minutes. Résultat : par rapport au bois, les émissions de GES sont 1,2 fois plus importantes pour le mur à ossature d’acier et 3,3 fois plus grandes pour le mur de béton.