Les changements climatiques transforment la langue

array(26) { ["ID"]=> int(79788) ["post_author"]=> string(3) "118" ["post_date"]=> string(19) "2025-05-06 05:20:01" ["post_date_gmt"]=> string(19) "2025-05-06 09:20:01" ["post_content"]=> string(0) "" ["post_title"]=> string(50) "Les changements climatiques transforment la langue" ["post_excerpt"]=> string(291) "La langue française, en constante évolution, est un reflet du monde qui l’entoure. Le lexique de l’environnement n’y échappe pas : au fil du temps, son vocabulaire s’est redéfini sous l’influence des mouvements sociaux, des avancées scientifiques et des dynamiques politiques." ["post_status"]=> string(7) "publish" ["comment_status"]=> string(6) "closed" ["ping_status"]=> string(6) "closed" ["post_password"]=> string(0) "" ["post_name"]=> string(31) "langue-francaise-mots-du-climat" ["to_ping"]=> string(0) "" ["pinged"]=> string(0) "" ["post_modified"]=> string(19) "2025-05-05 12:54:42" ["post_modified_gmt"]=> string(19) "2025-05-05 16:54:42" ["post_content_filtered"]=> string(0) "" ["post_parent"]=> int(0) ["guid"]=> string(31) "https://unpointcinq.ca/?p=79788" ["menu_order"]=> int(0) ["post_type"]=> string(4) "post" ["post_mime_type"]=> string(0) "" ["comment_count"]=> string(1) "0" ["filter"]=> string(3) "raw" ["header"]=> string(4) "blog" ["displayCategories"]=> bool(true) }
Created with Lunacy 3 min

La langue française, en constante évolution, est un reflet du monde qui l’entoure. Le lexique de l’environnement n’y échappe pas : au fil du temps, son vocabulaire s’est redéfini sous l’influence des mouvements sociaux, des avancées scientifiques et des dynamiques politiques.

À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, le mouvement écologiste a pris son envol un peu partout dans le monde. Parallèlement, le discours environnemental s’est structuré autour des notions de « conservation » et de « préservation ».

Ces expressions ont ensuite été progressivement supplantées par des concepts plus globaux tels que « développement durable », popularisé par le rapport Brundtland en 1987. Aujourd’hui, des termes comme « transition écologique », « carboneutralité » et « résilience climatique » occupent le devant de la scène.

« Les mots de l’environnement suivent un cycle, explique le titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique, René Audet. Ils apparaissent, se diffusent, s’institutionnalisent, et puis cèdent souvent leur place à d’autres. »

Selon le sociologue de l’environnement, les mots traduisent à la fois des réalités et des visions du monde. Dans ce contexte, le vocabulaire environnemental devient une question stratégique où différents acteurs influencent son évolution.

« Les mots sont rarement neutres, ajoute-t-il. Ceux qui dominent sont souvent ceux qui répondent aux intérêts d’acteurs influents, qu’il s’agisse d’États, d’organisations internationales ou d’entreprises. »

« Le mot “réchauffement” pouvait prêter à confusion, car il évoque quelque chose de positif. “Crise climatique”, en revanche, traduit l’urgence de la situation. »

René Audet, sociologue de l’environnement

Un lexique fidèle à son époque

Ce phénomène ne surprend pas les linguistes, qui observent des dynamiques similaires dans de nombreux domaines. Pour Marie-Claude L’Homme, spécialisée dans le lexique environnemental et membre de l’Observatoire de linguistique Sens-Texte, cette évolution est naturelle.

« Tous les vocabulaires spécialisés changent, et celui de l’environnement ne fait pas exception, observe la professeure titulaire à l’Université de Montréal. On ne parle plus de pluies acides depuis longtemps. En revanche, on parle de microplastiques et de contaminants émergents. »

D’autres expressions sont créées pour souligner de nouveaux défis et de nouvelles préoccupations. « Urgence climatique », « écoanxiété », « décroissance », « écoresponsabilité » : autant de termes qui témoignent de différentes manières d’aborder la question environnementale.

« La particularité du domaine de l’environnement est d’être utilisé par des groupes dont les préoccupations et les objectifs diffèrent, dit Mme L’Homme. Cela se traduira par des emplois ou des expressions distinctes. Certains cherchent à frapper les esprits, d’autres à proposer des solutions ou à encourager une prise de conscience. »

Des changements sont aussi faits à travers le temps pour aider le grand public à mieux comprendre et à adhérer à certains sujets. Le passage de « réchauffement climatique » à « crise climatique » en est un bon exemple.

« Le mot “réchauffement” pouvait prêter à confusion, car il évoque quelque chose de positif, souligne René Audet. “Crise climatique”, en revanche, traduit l’urgence de la situation. »

Entre influence et interprétation

Au-delà de leur fonction descriptive, les mots modèlent la façon dont la société perçoit et priorise les questions environnementales. Certains termes deviennent par ailleurs incontournables, tandis que d’autres acquièrent une portée symbolique. Le « développement durable », par exemple, s’est répandu dans les politiques publiques et les stratégies d’entreprise. Cependant, son interprétation varie énormément.

« Une de mes thèses est que le développement durable, en s’institutionnalisant, a perdu son pouvoir de définir l’ampleur de la crise écologique et c’est pourquoi il a été délaissé au profit d’autres termes, comme “transition” », avance René Audet.

L’expert en discours environnemental souligne que la diffusion rapide de certains concepts peut mener à des simplifications ou à des usages approximatifs qui en modifient la portée initiale.

Le mot « carboneutralité », par exemple, qui désigne l’équilibre entre les émissions de CO2 produites et celles qui sont compensées ou éliminées, a pris une place centrale dans les discussions sur les changements climatiques. Il est maintenant utilisé par les gouvernements, les institutions et même dans le marketing de certaines grandes compagnies.

« C’est une pensée très quantitative, ajoute-t-il en parlant de la carboneutralité. On crée une logique de compte, de stockage, de compensation. J’ai le droit d’en émettre tant… C’est une approche qui fonctionne bien pour les entreprises. »

« Mais la réalité, c’est que c’est une approche très carbocentriste, et le problème est beaucoup plus large, dit-il. L’utilisation de certains mots amène des angles morts pour le reste. »

Pour le chercheur, le mot « transition » illustre à merveille la diversité des interprétations. D’un côté, la « transition socioécologique » implique une transformation globale des structures sociales et économiques. De l’autre, la « transition énergétique » met l’accent sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, souvent par l’entremise d’innovations technologiques. « Ces deux visions vont s’affronter dans les prochaines années », estime-t-il.

Le professeur observe qu’au Québec, la transition énergétique est souvent privilégiée par les gouvernements et les grandes industries, tandis que la transition écologique est portée davantage par les mouvements sociaux et certaines municipalités.

« Comme pour le développement durable, il y a un risque que le mot “transition” soit vidé de son sens ou récupéré par des acteurs qui veulent en faire un simple ajustement technique, sans réelle transformation structurelle », conclut-il.

Le langage environnemental change au rythme des défis et des débats qui le façonnent. Derrière chaque mot se dessinent des perceptions, des influences et des choix stratégiques. L’évolution de ce lexique illustre bien les rapports de force qui traversent la question climatique.

Cet article provient du cahier spécial Francophonie publié par le quotidien Le Devoir.

Abonnez-vous à notre infolettre!