Face à la crise climatique, l’organisation du travail et de la production doit être repensée en impliquant davantage les ouvriers, selon des chercheurs. L’objectif ? Assurer le bien-être de la main-d’œuvre tout en favorisant une transition vers des énergies moins polluantes.
Chaleur suffocante dans des bâtiments non climatisés, cocktails météo ravageant les productions agricoles, multiplication des feux de forêt… Le réchauffement de la planète affecte de nombreux groupes de travailleurs et de travailleuses. Pour Pier-Luc Bilodeau, professeur titulaire au Département des relations industrielles de l’Université Laval, ces perturbations parfois majeures forcent certains secteurs à se mobiliser pour faire face au défi climatique. « On pense par exemple aux conséquences des feux sur l’industrie forestière, mais également sur… le travail des pompiers forestiers, qui sont de plus en plus souvent mobilisés pour y faire face », illustre le chercheur.
Les changements climatiques ne bouleversent pas que les conditions de travail des travailleurs. Ils entraînent aussi des conséquences importantes sur les modes de production. Plusieurs industries se tournent ainsi vers des énergies plus respectueuses de l’environnement afin de limiter leurs émissions polluantes. « On voit apparaître des filières complètes qui n’existaient pas il y a encore quelques années et qui ont crû énormément en raison de ces ambitions de lutte contre la crise climatique », observe M. Bilodeau. Il cite comme exemple les industries se concentrant autour des énergies renouvelables et d’autoproduction, comme les bornes de recharge électrique ou la microproduction solaire et éolienne, par exemple.
Les technologies évoluent rapidement et sont intrinsèquement reliées à la crise climatique, dit Gregor Murray, directeur du centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT). « Il y a beaucoup d’aspects des changements climatiques qui impliquent un changement technologique », précise celui qui est également professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Il cite l’exemple du secteur de la production d’aluminium, où de nouvelles technologies à faible émission de carbone sont développées depuis quelques années.
Des travailleurs trop peu formés
En plus de décarboner les procédés de production, les entreprises et leurs travailleurs doivent aussi trouver des façons de réduire les émissions de GES dans les milieux professionnels tout en impliquant la main-d’œuvre dans ces démarches.
Mélanie Laroche est professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Elle s’intéresse aux solutions que les syndicats pourraient mettre en œuvre afin d’inclure davantage les employés dans la transition climatique sur leur lieu de travail.
Il faut aussi repenser les expertises de la main-d’œuvre, ajoute-t-elle. « Certaines industries vont probablement ralentir pour céder leur place à d’autres qui seront moins polluantes. Mais les travailleurs auront-ils les compétences nécessaires pour faire ce passage entre deux emplois industriels ? » avance-t-elle.
M. Murray abonde en ce sens. Selon lui, les ouvriers sont régulièrement « laissés pour compte » dans la transition climatique de leur milieu de travail. « Qui leur pose des questions ? Qui leur propose des formations ? Qui cherche à mobiliser leur savoir pour négocier ces changements ? demande-t-il. C’est un peu inquiétant, parce qu’ils sont largement à la remorque des processus. »
Cette ignorance dans laquelle ils sont gardés a pour effet de générer chez certains une réaction de rejet, croit le chercheur. « Ces personnes refusent alors de mettre en œuvre certaines adaptations qui sont pourtant essentielles dans leur emploi et leur secteur d’activité, si on veut être capables collectivement de faire face aux défis climatiques », observe-t-il.
M. Bilodeau, spécialisé dans le secteur de la construction, est du même avis. « Il y a encore énormément de travail à faire sur les chantiers pour s’attaquer à ces lacunes en matière de formation des employés. Cela passe par la prise de conscience et la connaissance des défis climatiques par les employés sur le terrain, qui vivent directement les impacts de tels changements », dit-il.
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Impliquer les travailleurs dans le changement
Pour améliorer la formation des employés sur le terrain, M. Bilodeau a participé au projet Bâtir vert (Building It Green) financé par le gouvernement fédéral et réunissant plusieurs chercheurs du Canada, des États-Unis et d’Europe. Les études menées dans le secteur du bâtiment ont servi à évaluer les connaissances dont disposent les salariés et leurs représentants syndicaux sur les changements climatiques ainsi que les impacts de ces changements sur leur travail. « Cela a conduit à l’élaboration d’un module de formation pour leur apporter des notions de base sur le climat et l’énergie. C’est d’abord pour les sensibiliser, mais aussi pour les inviter à mieux comprendre comment leur intervention sur les chantiers a une incidence sur l’environnement, comme la performance énergétique des bâtiments », décrit-il.
Par ailleurs, au Québec, la main-d’œuvre sollicite souvent les syndicats sur les questions de santé et de sécurité en lien avec l’adaptation aux changements climatiques, explique Mme Laroche. Des défis subsistent toutefois, par exemple pour les travailleurs en plein air. « Quand il y a une catastrophe naturelle, ils se retrouvent sans emploi », dit-elle. Elle cite comme exemple le cas du personnel de la foresterie durant des incendies.
Si les dirigeants d’entreprise sont déjà au fait de ces questions d’adaptation face aux changements climatiques, ils doivent davantage intégrer leur main-d’œuvre, ajoute la chercheuse. « Tout l’investissement, évidemment, c’est l’employeur qui le réfléchit avec son équipe d’ingénierie. Mais on a besoin du savoir-faire et des compétences pratiques des travailleurs pour implanter ces changements », affirme-t-elle.
Cet article provient du cahier spécial L’avenir du travail publié par le quotidien Le Devoir.