Le dictateur bienveillant

dictateur bienveillant
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31 janvier 2019 - Laurent Da Silva, Économiste principal chez Ouranos

Je ne sais pas pour vous, mais il y avait quelque chose de différent pendant les partys de famille cette année. Entre les discussions sur le salaire trop élevé des médecins, le temps d’attente dans les urgences et le début de saison surprenant du Canadien, les gens parlaient de voitures électriques et de lutte aux changements climatiques… C’était bizarre… Comme si on avait décidé de remplacer le ragoût de boulettes, la tourtière et la sauce aux atocas par du tofu général Tao. C’était déroutant, mais franchement délicieux!

À vrai dire, quelque chose s’est passé cet automne. Quelque chose comme une prise de conscience sociale, une indignation commune devant l’inaction environnementale. Cela s’est manifesté notamment par la naissance d’un mouvement citoyen, le Pacte pour la transition, qui vise à faire pression sur nos gouvernements par un engagement individuel des signataires. J’aime penser qu’aujourd’hui, le Québécois (et l’électeur) moyen se préoccupe presque autant de changements climatiques que de santé ou d’éducation. La preuve? Même Richard Martineau s’est converti à la cause et agit comme chien de garde en réprimandant les parties de droite qui ne s’intéressent pas à la question environnementale.

Juste pour être certain qu’on ne retourne pas trop vite à la dinde pis aux atocas, j’aimerais apporter deux ou trois arguments économiques qui devraient vous convaincre de maintenir la question parmi vos sujets de préoccupation. Pour y arriver, prenons un petit détour pour parler de santé publique, en particulier de tabagisme.

On connaît depuis longtemps les risques pour la santé associés à la cigarette. Pour n’en nommer qu’un : un fumeur a 20 fois plus de risques de mourir d’un cancer du poumon qu’un non-fumeur. On pourrait assumer que ça le concerne, lui, uniquement. Pourtant, le fumeur a également un impact énorme sur son entourage immédiat en raison des effets néfastes de la fumée secondaire. Il risque aussi de devenir un fardeau pour la société qui devra le prendre en charge s’il développe un cancer ou une autre maladie.

Quand le gouvernement québécois a adopté la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, en 1998, il n’agissait pas comme un bon père de famille pour protéger les fumeurs contre eux-mêmes. Il prenait plutôt une décision financière, dictée par l’explosion des coûts de santé. Le calcul économique est très simple : taxer lourdement le tabac et restreindre son utilisation permet de réaliser des économies en soins de santé de loin supérieures à la diminution de l’activité économique générée par les cigarettières.

L’enjeu des changements climatiques est très similaire, à une exception près. La personne qui émet des gaz à effet de serre (GES) ne subira que très peu d’impact individuellement, contrairement au fumeur. Le fardeau retombera sur l’ensemble de la société. Sans intervention gouvernementale, les individus sont donc peu enclins à changer leurs habitudes. Tout comme pour le tabac, l’intervention du gouvernement n’est pas une réponse à un impératif éthique, moral ou même environnemental, mais tout simplement pour gérer sainement notre richesse collective. Je m’explique.

Depuis la publication du rapport Stern sur l’économie du changement climatique, en 2006, nous savons qu’il coûterait jusqu’à 10 fois moins cher de réduire de manière rapide nos émissions de GES que de subir les impacts des changements climatiques. Ces conclusions ont été globalement validées par de nombreuses études plus récentes.

Du côté de l’adaptation, les chiffres parlent également d’eux-mêmes. Au Québec, dans certains secteurs – pensons à l’érosion côtière –, chaque dollar investi en adaptation pourrait permettre de générer en moyenne des bénéfices pour la société de 5 à 10 $. Dans certains cas, ce chiffre peut grimper jusqu’à 70 $. C’est un rendement de 7000 % sur l’investissement! Tournez ce chiffre-là de tout bord tout côté, je vous mets au défi de trouver un investisseur de Wall Street capable de vous offrir un rendement aussi élevé sur vos placements.

S’il y a donc un conseil à retenir pour les gouvernements d’ici et d’ailleurs, c’est le suivant : agissez de manière préventive plutôt que curative! Changement climatique ou santé publique, même combat.

Malheureusement, parfois, l’argumentaire économique n’est pas suffisant pour faire bouger les choses. Et, des fois, je me dis que ça nous prendrait un dictateur bienveillant qui viendrait donner le coup de barre nécessaire pour remettre notre économie sur le chemin de la durabilité, de la résilience aux changements climatiques et de l’accroissement du bien-être de la population. Un « dictateur bienveillant », ça n’existe pas, évidemment, mais en science économique, on utilise le terme pour indiquer que les décisions de politique publique sont prises de manière à maximiser le bien-être de la population en entier, indépendamment des cycles électoraux. Dans le vrai monde, on pourrait traduire ça tout simplement par du « courage politique ».

Sur ces mots pleins d’espoir, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une année 2019 remplie de courage politique en matière de lutte aux changements climatiques et… de tofu général Tao (celui de Ricardo est pas pire).

Comme d’habitude, je vous laisse sur les paroles d’un grand sage. ☺

 

On peut créer des emplois et de la richesse en inventant des sources d’énergie renouvelables, d’autres façons de chauffer nos maisons, de nous déplacer, de nous habiller, de nous nourrir – bref, de vivre!
Richard Martineau, Journal de Montréal, 22 octobre 2018