
Il est fort probable que vous l’ayez déjà emprunté à pied, à vélo ou à ski sans même le savoir. Avec ses 29 000 km à travers le pays, le Transcanadien s’impose comme le plus long sentier récréatif au monde. Son tracé relie les trois océans dans une perspective de tourisme durable et d’écomobilité, sur terre comme sur l’eau.
Par une fin d’après-midi hivernale, l’île des Moulins, à Terrebonne, bourdonne d’activité. Des gens promènent leur chien, d’autres courent en pataugeant courageusement dans la neige molle. Un couple se balade, peinard, profitant du décor splendide que forment les rapides sur la rivière des Mille Îles et les bâtiments patrimoniaux de l’une des plus importantes seigneuries de l’histoire du Québec.
Les différentes personnes qui fréquentent de ce parc urbain ne prennent pas nécessairement conscience qu’elles usent leurs semelles sur la TransTerrebonne, l’un des tronçons du plus long sentier au monde : le Sentier Transcanadien. En mettant le cap vers l’ouest, et en s’armant de (beaucoup, beaucoup de) patience, elles pourraient atteindre Victoria, sur l’île de Vancouver, et toucher les eaux du Pacifique, ou encore tremper l’orteil dans l’océan Arctique à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest. Si elles choisissaient de virer à l’est, elles rejoindraient Saint John’s, la capitale de Terre-Neuve-et-Labrador. Bonjour, océan Atlantique!
Né en 1992 sous l’impulsion du Québécois Pierre Camu et de l’Albertain Bill Pratt, le Sentier Transcanadien s’impose comme une infrastructure de la plus grande importance : sa longueur surpasse celle de l’autoroute Transcanadienne, qui fait 7821 km. Sa mission ? Connecter les communautés du pays grâce à un sentier multiusage. « Pour ce faire, nous intégrons et améliorons les sentiers existants, comme la TransTerrebonne, et collaborons avec des partenaires locaux afin de créer de nouveaux tronçons », explique Mathieu Roy, chef de la direction de Sentier Transcanadien, dont il assure la destinée. Un projet ambitieux qui ne se terminera sans doute jamais tant il y a de communautés à connecter dans le deuxième plus grand pays du monde.
Un sentier ancré dans les communautés
À l’heure actuelle, cet itinéraire pancanadien relie plus de 15 000 communautés. Au Québec, il emprunte entre autres le parc linéaire du P’tit Train du Nord, celui des Bois-Francs, le canal de Lachine et le Sentier des Caps de Charlevoix. À la différence d’un sentier plus récréotouristique comme le Sentier national au Québec, qui traverse la Belle Province en privilégiant un tracé en forêt profonde, le sentier Transcanadien s’implante autant que possible au cœur des communautés canadiennes.
« Nous voulons faire partie intégrante de la vie des Canadiens, tout en encourageant le transport actif et un mode de vie sain »
– Mathieu Roy
Par exemple, le parc linéaire du P’tit Train du Nord, dans les Laurentides, qui a d’abord été pensé comme une infrastructure touristique lors de son inauguration dans les années 1990, se positionne de plus en plus comme un acteur clé de la mobilité durable. « Ce rôle a toute son importance en contexte rural », affirme Mathieu Roy, qui se dit très fier de travailler sur ce projet dont bénéficieront les générations futures.
Ce sentier hors norme invite à la cohabitation entre adeptes de la marche, du vélo et, dans certaines zones reculées, avec les véhicules hors route, comme les quads et les motoneiges. Quelques portions se font même en canot ou en kayak, comme sur le lac Supérieur, en Ontario, ce qui rappelle le rôle historique des Premières Nations dans le développement du pays.
Le saviez-vous?
80 % de la population canadienne demeure à 30 minutes ou moins d’une section du sentier.
Un tourisme régénérateur
Quel est le rôle du Sentier Transcanadien pour la planète? Cet itinéraire balisé s’inscrit dans la tendance du tourisme régénératif. « Cette approche ne vise pas seulement à amoindrir les impacts négatifs du tourisme sur les destinations visitées, mais à enrichir, soutenir et protéger les écosystèmes naturels et les communautés locales », explique Véronique Lévy, une experte en la matière au sein d’Ellio, une agence-conseil en développement durable.
Dans son ADN, le Sentier Transcanadien encourage un tourisme plus lent où l’on privilégie les rencontres humaines et la découverte des commerces locaux, en opposition avec la rapidité des voyages en voiture ou en avion. « Dans une approche régénératrice, les visiteurs n’apportent pas seulement leur argent. Ils établissent des relations authentiques de qualité avec leurs hôtes, en échangeant et partageant leurs expériences », dit Véronique Lévy, qui croit au pouvoir transformateur de cette façon d’aborder le tourisme.
L’organisation Sentier Transcanadien compte une cinquantaine de personnes à l’emploi d’un océan à l’autre et profite d’un budget de 15 à 17 millions de dollars par année. Plus de 10 millions de dollars proviennent du gouvernement fédéral; le reste provient de dons et de commandites. D’avril 2024 à la fin février 2025, l’organisation a versé près de 600 000 dollars à 119 projets au Québec. « En plus de l’aide financière, notre équipe apporte une aide technique à diverses organisations. Par exemple, nous avons l’expertise afin d’évaluer les coûts de la construction d’infrastructures pour nos partenaires. Notre soutien sert de catalyseur pour la création et l’entretien de sentiers », explique Mathieu Roy.

L’organisation Sentiers Québec-Charlevoix, qui gère notamment le mythique sentier de la Traversée de Charlevoix, bénéficie de ce soutien depuis des années. « En plus de financer divers projets, Sentier Transcanadien est très réactif afin de créer des programmes ponctuels en cas de crise, comme lors des inondations de mai 2023 dans Charlevoix, qui ont lourdement affecté nos sentiers », explique Justin Verville Alarie, directeur général de Sentiers Québec-Charlevoix.
Des pros de l’aventure tentent de parcourir ce sentier dans son intégralité. C’est le cas de Dianne Whelan, dont le film 500 Days in the Wild relate son aventure de six ans sur ce parcours. La cinéaste serait la seule personne à avoir accompli le parcours en marchant, pédalant, pagayant et skiant. Mais puisque le sentier ne cesse de croître, elle devrait bientôt reprendre le collier… si elle veut se maintenir à jour!