Ça chauffe cet hiver à Rimouski : une centaine de citoyens interpellent les élus municipaux afin que leur ville réduise ses émissions de gaz à effet de serre. L’initiative fait boule de neige. Récit.
Ces temps-ci, Rimouski a tout l’air d’une ville assoupie, ensevelie qu’elle est sous une épaisse couche de neige qui absorbe tous les sons. Pourtant, depuis trois mois, la capitale du Bas-Saint-Laurent est en « état d’urgence climatique », du nom de la déclaration qu’une centaine de citoyens ont fait signer au conseil municipal, en novembre dernier.
Ce samedi 16 février, ils en ont remis une couche. À l’initiative du Comité mobilisateur de Rimouski en transition, plus de 80 personnes de tous âges ont participé à une « grande assemblée citoyenne pour un Rimouski carboneutre » afin que la signature de la Déclaration d’urgence climatique – DUC de son p’tit nom – se traduise par des gestes concrets permettant d’améliorer la résilience de la ville.
Cinq ateliers de discussion étaient organisés : consommation et zéro déchet, alimentation et agriculture urbaine, transport et mobilité, urbanisme et écoconstruction, démocratie participative. Le but : déterminer des projets à lancer dans les semaines à venir.
Enseignante de français au cégep de Rimouski, Patricia Posadas est l’une des instigatrices de la mobilisation citoyenne dans cette ville de 50 000 habitants. Pour elle, c’est à l’échelon municipal que l’action est la plus porteuse. « Depuis près d’un an, les municipalités ont le statut de “gouvernement de proximité”. Elles ont donc la responsabilité d’assurer la sécurité des gens qui résident sur leur territoire. » Et quel plus grand danger que le changement climatique menace aujourd’hui le paisible Bas-Saint-Laurent, dont les berges sont grugées par l’érosion?
Une bibliothèque à objets
Penser collectivement est toutefois moins facile qu’on pourrait le croire, comme remarque la Rimouskoise Gabrielle Perrouas, animatrice de la discussion sur le zéro déchet. Elle constate que plusieurs personnes demandaient des trucs pour réduire leur empreinte carbone à la maison, mais que d’autres en restaient aux grandes notions. « Des concepts généraux comme l’éducation ou la sensibilisation reviennent souvent dans les discussions, plutôt que des actions concrètes », dit-elle.
D’administrés, les citoyens veulent devenir des acteurs en matière de questions climatiques.
Les participants se sont quand même mis d’accord sur l’élaboration d’un guide zéro déchet à l’intention des citoyens et des entreprises – une brigade verte s’occupera de le diffuser – ainsi que sur la création d’une bibliothèque d’objets. Au lieu de livres, on pourra y emprunter outils et appareils qui ne servent qu’à l’occasion, comme un four à raclette, une perceuse électrique ou un sécateur à long manche.
Un tas d’autres idées ont aussi vu le jour. Parmi elles : un système d’autopartage à l’échelle des quartiers, un site hébergé par la Ville listant les espaces vacants utilisables pour l’agriculture urbaine, l’implantation de toilettes à compost (au lieu de toilettes chimiques) dans les festivals et près des sentiers de randonnée afin que la population se familiarise avec ce concept, voire l’adopte à la maison…
De contribuables à acteurs
Mais pour qu’une ville devienne carboneutre, son administration municipale doit afficher une volonté claire, avancent les participants. Or, « dans la réglementation sur l’urbanisme, certains éléments compliquent l’écoconstruction », explique Marie-Hélène Nollet, architecte et animatrice de la discussion portant sur ces deux sujets. Par exemple, selon elle, aligner les maisons face à la rue tel que le stipulent les règlements est un frein majeur au déploiement du solaire passif, un type d’architecture qui utilise l’orientation de la maison pour maximiser l’efficacité énergétique.
Sur papier, l’adhésion de la municipalité à la DUC est formidable, poursuit Patricia Posadas. « Mais quand j’ai regardé la résolution [adoptée en novembre dernier] à tête reposée, j’ai été déçue », dit-elle. Les termes choisis sont un peu vagues à son goût : par exemple, le conseil « invite » tout le monde, citoyens comme entreprises, à participer à l’effort de réduction des gaz à effet de serre. « Surtout, aucune place n’est laissée aux citoyens pour s’impliquer dans les instances municipales et les groupes de travail déjà existants », souligne-t-elle.
N’empêche, l’enseignante est optimiste : « Je pense que les élus vont être avec nous, parce que la population est de plus en plus conscientisée à l’urgence climatique et fait connaître son inquiétude. »
LIRE AUSSI : Se raconter des histoires, un blogue de Geneviève Rajotte Sauriol
Autre création de la journée de samedi, un « comité de vigilance » communiquera avec les conseillers municipaux afin que les projets proposés par les citoyens puissent se concrétiser et ira poser des questions lors des séances du conseil municipal.
Bref, les élus sont prévenus : d’administrés, les citoyens veulent devenir des acteurs en ce qui concerne les questions climatiques. Comme celles-ci sont l’affaire de tous, l’ampleur des défis à relever permet de dépasser les habituels clivages, selon Patricia Posadas.
« Depuis des années que je m’implique dans les batailles au sujet de l’environnement, dit-elle, j’ai constaté qu’il y avait toujours deux camps : les “bâtisseurs”, qui ont une approche optimiste et veulent mettre en place des actions pour réduire notre empreinte carbone, et les “gardiens”, plus militants, qui s’opposent à des projets polluants. Aujourd’hui, on sent que ces gens ont le désir d’avancer ensemble et non de se chicaner : il y a un grand degré d’écoute parmi nous. » Ne reste plus qu’à obtenir celle des décideurs…
La DUC en bref
Proposée en 2018 par André Bélisle, vieux routier du mouvement écologiste québécois et président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), la Déclaration d’urgence climatique (DUC) réclame la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre et une transition vers une société carboneutre. Elle détaille notamment les conséquences de l’inaction sur la santé publique, l’économie, l’alimentation, l’environnement et la sécurité.
À la mi-février, 284 municipalités québécoises l’avaient endossée, représentant 5,8 millions d’habitants. Mine de rien, c’est 70 % de la population québécoise… Histoire à suivre.