
À l’occasion de l’initiative « En juin, je lis autochtone! », on a plongé dans la version française d’un essai qui a fait parler de lui : La roue de médecine – Un nouveau récit pour guérir la planète. On a eu la chance d’en discuter avec son autrice, l’écologiste et chercheuse nlaka’pamux, Jennifer Grenz.
« J’ai beaucoup réfléchi à la guérison… vous savez, se guérir soi-même et guérir la planète, c’est une seule et même chose », clarifie d’emblée Jennifer Grenz, rencontrée par visioconférence.
L’écologiste et chercheuse autochtone de la Colombie-Britannique œuvre depuis près de 20 ans à la restauration des écosystèmes et à la gestion des espèces envahissantes dans le nord-ouest du Pacifique. Sa réflexion puise à même sa culture nlaka’pamux et repose sur un outil non linéaire, qui guide tant sa propre guérison que sa manière de penser la science écologique : la roue de médecine. Au nord, elle puise la sagesse des ancêtres et des aînés; à l’est, elle entreprend un voyage spirituel; au sud, elle pave la voie du changement; et à l’ouest, elle repense les façons de travailler.
« La roue de médecine nous enseigne l’importance d’atteindre, dans toutes ces directions, un équilibre essentiel à la guérison dont notre planète a tant besoin », résume-t-elle à la fin de son livre.
Repenser la restauration écologique
Selon Jennifer Grenz, l’écologie de la restauration, qui vise à remettre en état des milieux dégradés, situe implicitement l’être humain au-dessus du vivant, comme s’il était un agent extérieur chargé de « réparer » la nature. Il s’agit d’une perspective que ne partage pas l’écologiste, également professeure adjointe au Département de gestion des ressources forestières de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC).
Sur le terrain, elle constate que les espèces indigènes sont classées comme désirables, tandis que les espèces envahissantes sont jugées indésirables. La règle est la suivante : éliminer les secondes et rétablir la flore originale. Cette méthodologie, pour l’autrice, ne tient pas compte de certains paramètres, comme l’adaptation aux dérèglements climatiques.
Ce constat crée chez elle une frustration, née de la difficulté à concilier deux visions du monde : celle de la science occidentale à laquelle elle s’est formée, d’une part, et celle du monde autochtone, dont elle hérite par sa communauté, d’autre part. « Il existe d’autres types de savoir, notamment l’intuition », affirme l’écologiste, qui évoque ici les enseignements des aînés.
Elle remet ainsi en question la méthodologie de recherche et appelle à créer un « espace partagé et égalitaire pour que les deux visions coexistent et que, de ce contexte, naisse une compréhension mutuelle ».

Pour que la science autochtone et la science occidentale puissent en venir à se respecter et s’estimer mutuellement, avec leurs différences et leurs similitudes, elles doivent apprendre à mieux se connaître.
La roue de médecine en bref
La roue de médecine est un concept central dans de nombreuses cultures autochtones, souvent représenté comme un cercle divisé en quatre parties, symbolisant les quatre directions, les quatre éléments, et les quatre étapes de la vie.
Dans son livre Grenz nous invite à suivre les enseignements des quatre directions de la roue de médecine : le Nord, qui s’appuie sur le savoir et la sagesse des Anciens ; l’Est, où nous délaissons les récits coloniaux pour voir les choses avec un regard neuf ; le Sud, où nous mettons en pratique de nouvelles visions du monde pour tracer la voie à suivre ; et l’Ouest, où une approche de réconciliation avec la Terre est réalisée.
Ouvrir la voie
Depuis la parution de son livre en anglais, Jennifer Grenz observe un changement sociétal et une plus grande ouverture du milieu scientifique.
« Mes travaux et ceux d’équipes de recherche qui explorent des voies similaires commencent à faire bouger un peu les choses. On sent que de plus en plus de personnes travaillent en réseau, développent de nouvelles façons de comprendre, et cela change nos pratiques, notamment en gestion des feux de forêt ou en résilience climatique », explique-t-elle.
Maintenant que les discussions sont ouvertes, Jennifer note que « de meilleures données sont produites, avec des constats plus significatifs pour comprendre les relations en écologie et la façon dont nous utilisons la science, ce qui modifie également les résultats obtenus ».
Ce qu’elle souhaite transmettre au-delà de la science, c’est une manière d’être au monde. « Je pense que je veux que les gens fassent confiance à leur intuition, qu’ils réfléchissent de manière relationnelle et qu’ils soient ouverts à toutes les formes de connaissance, qu’ils s’inspirent de ce qu’ils voient autour d’eux. Je pense que, quelle que soit leur profession, cela pourrait être très bénéfique. »

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Vers une écologie de la guérison
L’écologiste compte replacer la notion d’interconnexion au cœur de sa pratique pour que les relations entre les organismes et leur environnement soient mieux prises en compte. Dans la vision autochtone du monde, l’être vivant fait partie intégrante de son écosystème.
« La façon dont nous nommons ou classons les choses et leurs relations influence leur signification et notre façon de les appréhender », souligne Jennifer Grenz.
Prenez le terme restaurer. « Il donne l’impression qu’on veut remettre en état quelque chose. Dire qu’on veut soigner la Terre, en revanche, ça change tout », constate-t-elle. Le mot guérir porte un sens plus relationnel, plus sensible, qui invite à l’humilité plutôt qu’à la maîtrise.
Il s’agit d’une invitation à explorer les mots, car, selon l’écologiste, « c’est peut-être là que la science doit devenir plus interdisciplinaire et intégrer les sciences sociales pour nous aider à réfléchir aux catégories et termes qu’on emploie. »
« Pour les peuples autochtones, la connaissance n’est jamais isolée des personnes qui la portent », rappelle la chercheuse. Cet essai décrit un profond changement dans la manière d’appréhender le monde, mais aussi le « voyage » qui lui a permis de relier son cœur à sa tête dans une double guérison.
« Après avoir exploré les quatre directions de la roue de médecine, me voilà transformée à jamais, ayant trouvé mon propre équilibre en tant que scientifique dans un monde en relation », conclut-elle dans son livre.
L’écologie autochtone, selon l’autrice
La guérison du territoire, des cours d’eau et des relations qui forment un écosystème, grâce à une intervention éclairée de l’être humain visant l’atteinte d’un équilibre susceptible de répondre aux besoins évolutifs des communautés tout en respectant et en honorant le rapport d’interdépendance propre à cet écosystème.
