Au diable la performance, vive la robustesse !

Olivier Hamant est un chercheur en biologie et en biophysique. Il s'inspire de ses travaux sur le vivant pour imaginer un autre modèle de société. Photo Today In Liege
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Olivier Hamant est un chercheur en biologie et en biophysique. Il s'inspire de ses travaux sur le vivant pour imaginer un autre modèle de société. ©Today In Liege
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« On a lu pour vous » décortique en quelques mots la pensée d’une personne qui a placé le climat au cœur de ses réflexions. Dans ce deuxième volet de la série, on s’est plongé dans le travail d’Olivier Hamant. Ce biologiste nous invite à tourner le dos à la performance pour faire face au monde imprévisible de demain. Résumé.

« Le vivant n’est pas performant : il n’est ni efficace (il n’a pas d’objectif), ni efficient (il gâche énormément d’énergie et de ressources) », nous rappelle Olivier Hamant, un biologiste spécialiste de la reproduction et du développement des plantes. Prenez la photosynthèse, bel exemple de contre-performance! « Ce processus, qui est apparu il y a 3,8 milliards d’années, affiche un rendement, en général, inférieur à 1 %. »

Selon le chercheur en biologie et biophysique, également directeur de l’Institut Michel Serres, à Lyon (France), les crises sociales et environnementales qui rythment désormais nos quotidiens vont « au moins nous occuper pendant deux siècles ». Pour lui, « la question n’est plus de savoir si [un] basculement va avoir lieu, mais plutôt comment nous allons le vivre ».

Or depuis plusieurs années, le biologiste tire de son observation de la nature une manière de penser qui lui sert de fil rouge : le rôle fondamental des erreurs, des lenteurs, des incohérences dans la construction et la robustesse du monde naturel. Et si le vivant est plutôt robuste, c’est parce que « vivre, c’est d’abord résister ».

Le vivant est robuste; il est hétérogène, redondant, lent, incohérent, bref, tout sauf performant.

Place à la robustesse

La fluctuation est une notion centrale dans la pensée d’Hamant. Notre monde, dit-il, est en proie à des turbulences synonymes d’autant d’incertitudes. Il le sera de plus en plus. Or « la performance, définie comme la somme de l’efficacité et de l’efficience […], requiert un environnement parfaitement prévisible pour se construire et se justifier », écrit-il. Mais cette hypothèse de la stabilité, sur laquelle a longtemps reposé notre prospérité, ne tient plus la route. Dans ce contexte, notre « civilisation de l’optimisation généralisée » se condamne à sa propre perte. « Habiter ce monde sans questionner la performance serait une folie. »

En lieu et place de la performance, Hamant propose de miser sur la robustesse, qu’il définit comme la capacité à « maintenir le système stable malgré les fluctuations ». Cette « réponse opérationnelle aux turbulences » ne doit pas être confondue avec la résilience, un concept apparenté très à la mode. Selon lui, la résilience a deux limites : elle exige tacitement que l’on soit agile et induit un certain consentement. Et en cela, elle est parfaitement « aligné[e] avec l’idéologie performante ». « La robustesse crée [plutôt] les conditions grâce auxquelles on ne tombe pas. »

Dans son livre La troisième voie du vivant, paru en 2022, Olivier Hamant défendait déjà l’idée de nous inspirer davantage de l’incohérence et de la « sous-optimalité » qu’on peut observer dans la nature.

Dans le monde fluctuant qui se dessine, le basculement vers la robustesse est inévitable. « Nous n’aurons pas le choix, tranche Hamant. Nous quittons l’époque du burn-out pour entrer dans le monde du respect de notre tempo […] et de nos liens. » Dans les faits, ce changement s’amorce déjà aux marges de la société. Il en veut pour preuve toutes ces expérimentations fondées sur des tissus associatifs, coopératifs et communautaires qui tracent la voie vers la robustesse et dont Unpointcinq se fait d’ailleurs un relais : agroécologie, économie de l’usage, technologies de faible technicité, ou low-tech, modèle coop, etc.

Cinq idées fortes du dernier livre d’Olivier Hamant

  1. Notre civilisation est celle de l’optimisation à tous crins : l’important est d’atteindre nos objectifs avec le moins de moyens possible.
  2. Dans un monde fluctuant, la performance s’avère impossible, et il faut donc changer de logiciel.
  3. Le vivant est robuste; il est hétérogène, redondant, lent, incohérent, bref, tout sauf performant.
  4. La robustesse constitue la réponse toute désignée face aux turbulences actuelles et à venir.
  5. Les marges de la société expérimentent d’ores et déjà la robustesse, par le biais de projets fondés sur l’équité, la coopération, la circularité, etc.

Un penseur radical

On le constate : Hamant porte son regard loin, très loin dans le temps, bien au-delà des défis auxquels nous faisons face aujourd’hui. Lorsqu’il les évoque, c’est pour mieux les qualifier de « signaux faibles », des « indicateurs d’une société au seuil du basculement ». On notera d’ailleurs qu’il rejette en bloc les notions de développement durable et, de manière plus surprenante, de sobriété. « [Ces concepts] sont bien alignés avec un monde qui a dépassé les limites planétaires, ce ne sont pas nécessairement des leviers opérationnels », pense-t-il.

Hamant peut bien sûr sembler très radical. Il est en totale rupture avec ce qu’il appelle « l’injonction de performance » et cherche, comme plusieurs, à stimuler notre esprit critique pour opérer un profond changement social. C’est d’ailleurs sans surprise qu’il suggérait comme lecture, à la fin d’une entrevue récente, Rendre le monde indisponible du philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa. L’influence de cette figure majeure de la théorie critique contemporaine sur son dernier essai, Antidote au culte de la performance: la robustesse du vivant, est évidente.

Les tracts, ces courts documents de propagande politique, religieuse ou autre, font rarement dans la dentelle, et cet écrit engagé publié en 2023 dans la collection Tracts de Gallimard ne fait pas exception. Car hélas, Hamant prend peut-être un peu trop d’altitude par moment. En voulant embrasser très large, son regard éclipse quelque peu les enjeux immédiats sur le front de l’environnement. Force est de constater que la transition, ce processus au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre, est un impensé chez lui.

Mais ne boudez pas pour autant votre plaisir : Antidote au culte de la performance vaut qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour songer à sa propre robustesse, comme individu. Le tout en soixante pages bien tassées – ça s’enfile d’une traite, comme un shooter!

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