Une grenouille nage tranquillement dans une bassine d’eau fraîche. Très graduellement, on augmente la température de l’eau. L’eau devient tiède. La grenouille poursuit ses activités. L’eau devient chaude. L’énergie de la grenouille diminue, mais elle reste là, à flotter. « Saute grenouille ! Sauve ta peau ! » L’eau devient brûlante, la grenouille cuit. « Malheur ! » Si on avait immédiatement plongé la grenouille dans l’eau bouillante, elle se serait pourtant vite retrouvée en dehors de l’eau.
Cette allégorie appréciée des environnementalistes illustre bien le phénomène d’habituation. La grenouille, c’est toi, c’est nous, face aux changements climatiques se déroulant sur des décennies… si graduellement, qu’il nous est difficile d’en saisir toute l’urgence.
Ce n’est pas complètement notre faute, c’est celle de notre cerveau! Quand on chassait et cueillait dans les plaines d’Afrique, on devait être en mesure de réagir rapidement à des dangers concrets et imminents. À la vue d’une panthère, tu cours, ou tu te bats, mais tu ne prends pas le temps de prendre un selfie. On était dans le « ici et maintenant », et ça nous a bien servi ! Après tout, nous sommes encore là. Malheureusement, notre cerveau n’a guère évolué depuis 30 000 ans. Certes, on est capable de raisonnement et d’abstraction, mais on est encore plus doué pour l’immédiat. On n’est simplement pas « câblés » pour bien évaluer le risque lié aux changements climatiques qui nous apparaissent diffus, incertains, abstraits et lointains.
Le discours scientifique a également un peu cet effet. Les changements climatiques sont souvent présentés de façon analytique et froide, dans un langage hermétique et un peu nébuleux. Ce genre de discours contribue à la création d’une distance psychologique menant à la réduction de la perception du risque. Et si on ne perçoit pas bien le risque, on a moins de chance d’agir et de se préparer au pire.
Quand j’explique l’infinité de l’Univers à mon quatre ans (gros défi), je tâche d’ajuster mon vocabulaire à son niveau de compréhension et de faire des liens concrets avec sa réalité à lui. Sinon, c’est la face de beigne assurée, et le message ne sera tout simplement pas passé.
Recadrer le discours sur les changements climatiques en termes concrets, portant sur des enjeux locaux et en faisant appel à l’expérience personnelle des gens contribuerait à rendre le risque plus manifeste.
Une autre bonne façon de réduire cette distance psychologique est de faire appel aux émotions. Je sais ! Existe-t-il quelque chose de plus terne qu’un rapport scientifique ? N’empêche, ajuster le discours pour favoriser une meilleure connexion émotionnelle envers les enjeux climatiques est une bonne idée, mais attention ! Susciter de la peur, de l’anxiété ou de la culpabilité est une mauvaise stratégie à long terme. Rapidement, les personnes risquent de vouloir échapper à leurs émotions négatives en sombrant dans le déni. Elles minimiseront alors l’importance des changements climatiques ou croiront qu’elles n’ont aucun contrôle sur les catastrophes à venir. Vous vous rappelez le phénomène de résignation acquise ? Favoriser des émotions positives, voilà ce qu’il faut faire !
Pour diminuer la distance psychologique, il faut aussi avoir des connaissances minimales sur le monde qui nous entoure. Même les plus vulnérables, celles et ceux qui subissent déjà les effets des changements climatiques ne sont pas nécessairement les plus sensibilisés. Par exemple, une étude a démontré que les fermiers du Nevada, vulnérables aux sécheresses, ne perçoivent pas le risque des changements climatiques sauf 1) s’ils ont les connaissances suffisantes pour être en mesure d’associer l’augmentation des sécheresses à la mécanique climatique, 2) s’ils savent que l’activité humaine cause les dérèglements climatiques et 3) s’ils ne sont pas républicains (ha ça…). Dans une étude canadienne portant sur les connaissances factuelles sur les changements climatiques, les participant(es) ont obtenu en moyenne seulement 1,5 bonne réponse sur 6. Difficile d’appréhender correctement les risques dans ce cas.
Pour remédier à cette situation, il est essentiel de soutenir le déploiement d’une éducation non seulement en ce qui concerne les changements climatiques, mais en matière d’environnement dans son ensemble : à l’école, par l’intégration de l’éducation relative à l’environnement et à l’écocitoyenneté aux curriculums scolaires; dans les médias, par des topos et des émissions de culture scientifique; dans les milieux non formels, par des initiatives d’éducation populaire, etc. Une Coalition s’est d’ailleurs formée autour de cet important enjeu au Québec.
La distance psychologique est donc dommageable. En attendant que le discours scientifique s’ajuste, ne vous laissez pas berner par la douce chaleur ambiante.
P.-S. : Voici un petit quizz pour les curieux(ses) qui voudraient tester leurs connaissances sur les changements climatiques (en anglais seulement).