Méconnues et malaimées, les tourbières du Québec stockent pourtant plus de carbone que les forêts, ce qui les couronnent d’office championnes de la lutte aux changements climatiques. D’où la nécessité de les protéger, soulignent les chercheurs. Heureusement, des Québécois se battent pour elles.
Les sols et la végétation du Québec retiennent l’équivalent de 840 années de nos émissions de CO2. La majeure partie de ce carbone est emprisonnée dans les tourbières, qui, bien qu’elles occupent une superficie environ sept fois plus petite que les forêts, stockent plus de carbone que ces dernières. À tel point qu’elles renferment plus de la moitié du stock terrestre de CO2 du Québec!
C’est ce qu’a démontré une étude dirigée par Michelle Garneau, spécialiste des milieux tourbeux et professeure au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En examinant des échantillons de sol récoltés aux quatre coins de la province, son équipe a évalué que les tourbières emprisonnent environ 11 gigatonnes de carbone, soit l’équivalent de 500 % des émissions de CO2 du Québec en 2016. Cela fait d’elles de précieuses alliées dans la lutte aux changements climatiques.
Tourbière 101
Mais une tourbière, c’est quoi au juste? C’est un « écosystème humide où l’accumulation de la matière organique est plus rapide que sa décomposition », explique Michelle Garneau. Si le Québec compte plusieurs de ces grandes étendues de végétation basse sur un sol très humide, certaines sont plus efficaces que d’autres pour ce qui est de séquestrer le CO2, l’un des principaux gaz à effet de serre (voir carte ci-dessous).
La tourbière se distingue également des autres écosystèmes « par la longueur impressionnante des cycles de captation du carbone », explique la chercheuse. Alors que les arbres ont une espérance de vie d’une dizaine à une centaine d’années, les tourbières peuvent être millénaires et, par conséquent, stocker le carbone de manière plus pérenne. En outre, les forêts sont plus sensibles que les tourbières aux catastrophes naturelles comme les feux, précise-t-elle.
Protéger et revitaliser les tourbières québécoises, c’est une formidable façon de limiter l’impact des changements climatiques, suggère l’étude de Michelle Garneau. Autre élément positif : des résultats préliminaires d’un projet de recherche que mène actuellement la chercheuse suggèrent que l’allongement des saisons chaudes pourrait augmenter le rythme de croissance de la tourbe, qui capterait ainsi encore plus de CO2.
Protéger, une priorité
Michelle Garneau comprend mieux que personne l’importance environnementale des milieux humides. Par ses recherches et ses efforts de vulgarisation, elle travaille sans relâche à sensibiliser les citoyens et décideurs à l’importance capitale de protéger les écosystèmes auxquels elle a consacré sa carrière.
Or, la conservation des tourbières est menacée. La spécialiste se souvient notamment de la difficulté qu’elle a eue à expliquer à des producteurs agricoles de Lanoraie les conséquences néfastes de leurs actions sur une tourbière avoisinante. Ceux-ci y puisaient leur eau, asséchant le précieux écosystème et menaçant ainsi son existence.
« Dans le sud du Québec, la plupart des tourbières ont déjà été drainées pour des raisons agricoles ou immobilières », se désole la chercheuse. Raison de plus, selon elle, de protéger celles qui existent toujours, particulièrement dans les secteurs où l’activité économique est intense. Or, il faut sensibiliser davantage la société civile à l’importance de la conservation des milieux naturels et adopter des politiques publiques en conséquence, plaide-t-elle.
C’est toutefois dans le nord du Québec, plus particulièrement dans la région de la Baie-James et au nord de l’Abitibi, que les tourbières emmagasinent le plus de carbone. « Pour leur importante fonction écosystémique », ces tourbières nordiques devraient être au cœur des volontés de conservation des décideurs, selon la chercheuse. « Il faut établir des zones de conservation, mais on n’est pas rendu là », constate-t-elle.
J’aime ma tourbière
La sensibilisation est au cœur de l’action de Régénération Canada, une organisation qui promeut la régénération de la santé des sols face aux changements climatiques. Sa directrice générale, Gabrielle Bastien, s’emploie à expliquer à une multitude d’intervenants – agriculteurs, propriétaires fonciers, agronomes, scientifiques, entreprises, OBNL, décideurs publics et citoyens – l’importance de s’assurer de la santé des sols pour agir sur le climat.
Selon elle, le message est de plus en plus entendu. Par exemple, au cours des dernières années, au Québec, plusieurs initiatives citoyennes ont permis de protéger et même de régénérer des tourbières, ce qui favorise non seulement la lutte contre les changements climatiques, mais aussi la protection des espèces animales et végétales qui y vivent, précise-t-elle.
Gabrielle Bastien croit que l’action pour la préservation des sols, concrète et relativement simple, peut mener à un « changement de paradigme » dans la perception que beaucoup de gens ont de la lutte contre les changements climatiques.
« La régénération des sols est une solution basée sur le positif. On veut surtout expliquer aux citoyens et aux parties prenantes ce qu’ils peuvent faire et non ce qu’ils ne peuvent pas faire », conclut-elle.