Si les arbres pouvaient parler, que diraient-ils? C’est ce que cherchent à découvrir deux chercheurs québécois qui font le pari que la forêt boréale québécoise renferme les secrets de l’adaptation aux changements climatiques. Mystères dévoilés à qui sait tendre l’oreille…
Comment peut-on prévoir les effets des changements climatiques sur nos forêts? Peut-on maximiser les bénéfices environnementaux et économiques pour s’adapter à ces changements? Selon les chercheurs Nicolas Bélanger et Daniel Kneeshaw, c’est en mesurant une foule de paramètres en temps réel que nous pourrons mieux comprendre comment fonctionnent nos forêts, ce qui nous permettra de mieux les aménager. Leur but : implanter un des plus grands réseaux de forêts intelligentes au monde en collectant une foule de données en temps réel dans les forêts du pays. Bienvenue dans le monde des forêts intelligentes.
La recherche sur l’impact des changements climatiques sur les forêts canadiennes permettra de proposer des mesures visant à atténuer leurs effets négatifs. Les données recueillies permettront de suggérer de nouveaux types de plantation afin de maximiser les services écologiques et socioéconomiques tout en produisant du bois de meilleure qualité.
Écoute technologique
C’est à Saint-Hippolyte, dans les Laurentides, que la première forêt intelligente au Québec a vu le jour. Mais qu’est-ce qu’une forêt intelligente? « C’est une forêt munie de capteurs de collecte de données électroniques [qui fournissent] de l’information qui permettra de mieux aménager les ressources forestières à court, moyen et long terme », explique Nicolas Bélanger, professeur en sciences de l’environnement à la TÉLUQ et expert de la biogéochimie des sols forestiers.
Pour obtenir ces données, Nicolas Bélanger et son équipe ont placé des équipements permettant de suivre la croissance des arbres, le mouvement de la sève dans les arbres, la température et la tension du sol de même que les données météorologiques en temps réel. D’autres appareils sont aussi utilisés pour connaître la disponibilité des nutriments, le flux de CO2, la flore microbienne du sol ainsi que la diversité et l’abondance du sous-bois à différents moments au cours de l’année.
Mais ce n’est pas tout. On retrouve aussi des résotrons, des instruments qui ressemblent à des tubes enfoncés dans le sol et qui permettent de mesurer la croissance des racines, ainsi que des caméras qui permettent de suivre la phénologie, c’est-à-dire l’ouverture des bourgeons au printemps. « Ces caméras nous permettent de mieux étudier les interactions entre l’arrivée des oiseaux et des insectes et le cycle des bourgeons, souligne Daniel Kneeshaw, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Centre d’étude de la forêt (CEF). Ça nous permettra, entre autres, d’étudier la synchronisation entre l’ouverture des bourgeons des sapins baumiers et l’arrivée de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. »
Grâce à un financement de 9,5 millions de dollars de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), Daniel Kneeshaw mettra en place le projet SmartForest Canada: A Network of Monitoring Plots and Plantations for Modeling and Adapting Forests to Climate Change, qui vise à déployer un réseau de forêts intelligentes comptant, dans un premier temps, 17 sites dans tout le pays. « On voit que le climat se réchauffe, mais que les changements ne sont pas linéaires, soutient le chercheur. Si on étudie un seul site, ça peut prendre beaucoup de temps pour comprendre quels sont les impacts des changements climatiques sur nos forêts. En implantant les mêmes méthodes sur tous les sites, [nous pourrons] avoir des réponses plus claires et plus rapidement. »
Tous ces sites produiront une quantité faramineuse de données qui permettront de mieux comprendre les conséquences des changements climatiques sur la quantité d’eau disponible pour les arbres, le potentiel de migration des espèces, mais aussi les conséquences sur la flore microbienne du sol. « Le réchauffement du climat pourrait augmenter le taux de décomposition de l’humus en forêt, et ainsi augmenter l’émission de CO2 », croit Nicolas Bélanger.
Pour tester cette hypothèse, on procédera à l’installation de câbles chauffants sur le sol dans la forêt de recherche de Saint-Hippolyte. « Ça nous permettra de simuler le réchauffement et les stress hydriques en augmentant l’évaporation », ajoute le chercheur de la TÉLUQ.
Fini les essais et erreurs
Comment l’industrie forestière, qui génère des retombées de près de 16 milliards de dollars annuellement au Québec, s’adaptera-t-elle à ces changements? Au lieu de nous contraindre à procéder par essais et erreurs, les données recueillies nous permettront de mieux comprendre la dynamique des forêts, de sorte que nous puissions cibler les meilleures techniques d’aménagement.
Le gouvernement veut déjà mettre l’accent sur des aires de production de bois intensives. Investir davantage dans les espèces à croissance rapide permettra de réduire notre empreinte et notre risque tout en diminuant le besoin de récolter en forêt naturelle.
Pour cibler les espèces à croissance rapide les plus performantes, on procédera à des expériences de plantation qui seront réalisées dans 17 sites au pays. Et comme on retrouve 761 100 km2 de forêt au Québec et 3 101 340 km2 au Canada, il ne faut pas s’attendre à ce que les conséquences soient les mêmes partout, ajoute Daniel Kneeshaw.
« Ça nous permettra aussi de mieux comprendre les risques et les avantages, dit-il. Par exemple, on s’attend à ce que la productivité des forêts du sud du Québec diminue, car il y aura moins d’eau disponible. Les forêts du nord-est, en Abitibi, pourraient toutefois être avantagées, car les sols froids et humides ralentissent la croissance des arbres en ce moment. »
En ce qui a trait à la migration des espèces vers le nord, le processus se fera très lentement, sur des centaines d’années, soutient Nicolas Bélanger. « L’influence des changements climatiques sera surtout visible à travers les grandes perturbations comme les épidémies et les feux qui risquent d’influencer le paysage énormément », dit-il en ajoutant que l’aménagement forestier favorisera la migration de certaines espèces.
Non seulement le projet pancanadien de forêts intelligentes permettra de mieux s’adapter aux changements climatiques, mais il attirera aussi les meilleurs étudiants, estime Nicolas Bélanger. « Ces infrastructures technologiques nous permettront de mieux former les chercheurs de demain », conclut-il.