L’épicerie zéro déchet Beige farine occupe une place de choix au croisement des rues Adams et de la Reine, à Gaspé.
Retombées positives générales
Il y a quelque chose dans l’air à Gaspé. Car si, ailleurs en région, les épiceries zéro déchet ferment leurs portes, Beige farine, le seul commerce du genre à des kilomètres à la ronde, tient bon. Mais comment? Incursion dans son quotidien… et ses secrets!
En septembre, touristes et gens du coin se partagent les larges trottoirs de la rue de la Reine, à Gaspé. Une épicerie fine, une brûlerie, un bistro, un magasin de souvenirs, une librairie et un centre commercial y ont élu domicile il y a plusieurs années. Sur leur artère, ils côtoient les nouveaux venus : un café, un bar à cocktails, une boulangerie et, depuis deux ans, une épicerie zéro déchet.
Il est 8 h 30 et il fait beaucoup trop chaud pour un 5 septembre. Beige farine, l’épicerie zéro déchet en question, ouvre dans 30 minutes. Deux passants profitent du beau temps sur la petite terrasse du commerce.
Par la fenêtre, ils examinent avec intérêt les dizaines de pots vides alignés sur les étagères placées près de la vitre. Des pots de confiture, de sauces, d’olives, de cornichons. Vides, propres et portant le logo du magasin. Derrière les contenants, on devine une balance, un pot de crayons et des rangées de vivres en vrac.
À l’intérieur, Sandrine Bourbonnais, la propriétaire, fait l’inventaire. Sa mère, qui, avec son conjoint, fait le trajet de Montréal toutes les six semaines pour aider sa fille, s’affaire à dépoussiérer l’ensemble du magasin. Tout y passe : étagères, lumières, pots et prises électriques. C’est droit, propre, impeccable. Une employée, Valérie, remplit des contenants vides. Hier, les flocons d’avoine et le beurre d’arachide ont été particulièrement populaires. Ce sont de grands préférés de la clientèle depuis l’ouverture du commerce, en juin 2022.
« Je n’étais jamais venue en Gaspésie avant ma vingtaine », raconte l’entrepreneure, en remplaçant sur son cintre un chandail qui fait honneur à sa ville d’adoption. « Et puis, je me suis trouvé un emploi à L’Anse-au-Griffon et je suis tombée en amour avec la région. Je savais que ce genre d’épicerie manquait à Gaspé. »
Ainsi est née Beige farine.
Un pari risqué
Reste qu’amour ou pas, les commerces écologiques ont vécu des années pandémiques et post-pandémiques difficiles. Et surtout ceux situés en région. Depuis 2021, Jonquière, Alma, Belœil, Prévost, Sherbrooke, Port-Cartier, Trois-Rivières, Sept-Îles et Carleton-sur-Mer ont ainsi perdu leurs épiceries zéro déchet.
De son côté, Beige farine va bien. « J’ai atteint mes objectifs financiers. Tous les indicateurs sont positifs : notre clientèle augmente, tout comme notre sélection », explique Sandrine Bourbonnais, qui, malgré son succès, est visiblement triste et bouleversée par le sort de ses compatriotes. Surtout par celui du Vraquier, à Carleton-sur-Mer, qui a fermé en 2023 sa section en vrac. C’est que son ancien propriétaire, Guillaume Damini, a été son mentor lors de l’ouverture de l’épicerie. « Je l’ai engagé pour m’aider. J’avais entre autres accès à sa liste de fournisseurs, c’était d’une grande aide. »
L’entraide, notons-le bien, est l’un des secrets de la réussite de l’entrepreneure de 26 ans. Depuis la fin de son mentorat, la jeune propriétaire a pris l’habitude de s’allier à d’autres commerçants et commerçantes. Par exemple, pour éviter des frais de livraison exorbitants (« pas le choix en région », intervient-elle), Beige farine et Oh les pains, la boulangerie de Gaspé, combinent leur commande de farine.
Un coup de main important, puisque qu’avec les fermetures d’épiceries en vrac un peu partout au Québec, les fournisseurs qui font attention à leur empreinte carbone ont, à leur tour, bien du mal à garder la tête hors de l’eau. Résultat : un casse-tête logistique pour Beige farine.
Bonjour! Est-ce que je peux vous aider?
À 9 h 30, un premier client entre. Sandrine Bourbonnais interrompt l’entrevue pour aller le saluer, sourire aux lèvres. Le nouveau venu a besoin de réglisse noire. Et avant même qu’il ne le demande, la propriétaire lui explique comment procéder :
Choisir son contenant (sac en papier à 25 ¢, pot en verre consigné à 2 $ ou pot de yogourt gratuit), le peser et noter son poids, inscrire le numéro du produit sur ledit contenant, puis, finalement, le remplir.
Vers 10 h, la clientèle commence à affluer. Un couple venu à pied entre acheter farine de blé entier, mélasse, olives et croustilles à saveur de sushis. Ils viennent chaque jour, ou presque. Pourquoi? « Pour protéger notre environnement, c’est très, très, très important », répond Josée, une cliente. À la caisse, Sandrine Bourbonnais prend de ses nouvelles.
Martine, qui travaille dans un bâtiment voisin, arrive peu après. Elle fait le plein de noix, de farine et de bonbons. « Pour les enfants », ajoute-t-elle avec un clin d’œil. Un peu avant l’heure du lunch, Marie et Nicolas, des touristes français entrés par curiosité, repartent avec une carte postale représentant un phoque. « Pour afficher chez nous », expliquent-ils.
Une de nos forces, c’est la diversité des produits. On ne veut pas vendre des choses que les gens n’achètent qu’aux deux mois.
Une place dans l’agenda
Onze heures sonne, la clientèle se raréfie. Pendant le mois de septembre, ce n’est jamais très achalandé chez Beige farine. Les affaires reprennent en octobre, grâce, entre autres, aux centaines de sacs (recyclables) de bonbons prêts à être distribués le soir de l’Halloween.
Sandrine Bourbonnais profite de l’accalmie pour remplir un contenant de dattes. Elle s’apprête à partir. Elle passera le reste de la journée chez elle. Au menu : contacter des fournisseurs, développer de nouvelles recettes en pots, gérer les réseaux sociaux de l’entreprise et concevoir de nouveaux articles d’art de la table.
A-t-elle le temps de dévoiler un autre secret?
« Une de nos forces, c’est la diversité des produits. On ne veut pas vendre des choses que les gens n’achètent qu’aux deux mois », révèle-t-elle. Aliments, recettes en pots, lessives, nettoyants, litière, poteries, produits pour le corps et vêtements remplissent les tablettes de Beige farine. Avec sa sélection variée, l’entreprise a réussi à se tailler une place de choix dans la routine de ses clients et clientes.
Et on a pu découvrir dès l’ouverture un autre secret du succès de l’entreprise : l’équipe de Beige farine veille sur chaque personne qui franchit la porte. Habituée ou non initiée. Quand on lui en fait la remarque, l’entrepreneure sourit.
« Ça a été une de mes plus grandes surprises, à quel point les liens qu’on crée avec la clientèle sont forts, dit-elle. On voit leur famille s’agrandir. Certains nous parlent de leur deuil, d’autres de leur maladie. On fait partie de leur vie. »
