Bâtir une économie fondée sur les progrès sociaux et environnementaux est l’objectif d’Impak, une plateforme en ligne qui aide à consommer sans faire suer le climat.
Se faire livrer une pizza, jeter un vieux chandail, boire un chocolat chaud. Autant de gestes que nous posons au quotidien sans en mesurer les répercussions sur le climat, sur la santé ou sur les conditions de vie des travailleurs qui s’activent de l’autre côté du globe.
Afin d’encourager les consommateurs à faire leurs achats auprès de marchands qui se préoccupent du bien-être des humains et de celui de la planète, Impak Finance, une entreprise de technologie financière canadienne basée à Montréal, a créé une plateforme Web où ils peuvent découvrir des produits et services à retombées sociales et environnementales positives. Nommée Impak, cette place de marché virtuelle peut par exemple regrouper une boutique de vêtements éthiques, un atelier d’ébénisterie qui embauche des employés en réinsertion sociale ou une épicerie zéro déchet.
« Notre vision est que l’économie d’impact devienne l’économie tout court. »
En 2018, l’entreprise a reçu un prêt de 1,1 M$ de la part d’Anges Québec, du fonds d’investissement Anges Québec Capital et d’investisseurs canadiens et français, ce qui lui a permis de développer une application mobile qui doit être lancée d’ici mai 2019 au Québec et au Canada.
Comment ça marche?
Grâce à son moteur de recherche, Impak vous connecte à près de 700 entreprises (du Québec, du Canada et de France), répertoriées selon leurs objectifs de développement durable (ODD), leur secteur d’activité et leur emplacement géographique. Le détail de leur mission et de leurs « domaines d’impact » – bien-être animal, réutilisation de matériaux de construction, etc. – permet de mieux les connaître et d’effectuer vos achats en fonction des causes qui vous tiennent à cœur. À l’heure actuelle, près de 90 entreprises du réseau agissent contre les changements climatiques, d’après Impak Finance.
Chaque achat est récompensé en Impak Coin (symbole : MPK), une cryptomonnaie reconnue par l’Autorité des marchés financiers qui peut être réutilisée dans l’écosystème Impak parallèlement au dollar canadien. En consultant leur relevé de compte bancaire, les acheteurs peuvent voir quelle proportion de leurs dépenses va à des entreprises du réseau.
« Comme la prise de valeur du MPK est en lien direct avec la santé d’entreprises à impact social ou environnemental positif, son utilisation s’érige en contrepoids à l’économie financière classique », explique Velina Serafimov, chef de l’impact et responsable de la méthodologie de vérification des entreprises chez Impak Finance.
De leur côté, les entreprises doivent montrer patte blanche pour faire partie du réseau Impak. Par exemple, chacune doit réussir une évaluation de sa contribution à un objectif environnemental ou social. « On veut éviter le greenwashing et le ODD washing », affirme Velina Serafimov en faisant allusion aux entreprises qui utilisent le marketing et les relations publiques pour se donner une image écoresponsable alors qu’elles ne le sont pas. Elles doivent aussi répondre à au moins un des 17 objectifs de développement durable établis par les Nations unies, comme la lutte aux changements climatiques.
Qu’est-ce que ça vaut?
Créer une valeur sociale ou environnementale et récolter des bénéfices sont deux objectifs compatibles, selon Martin Dumas, codirecteur du Laboratoire interdisciplinaire de la responsabilité sociale des entreprises (LIRSE) de l’Université Laval.
D’après lui, « Impak est une initiative prometteuse à plus d’un égard ». Partant du principe selon lequel l’action de l’État ne peut à elle seule relever les défis du développement durable et des changements climatiques, il juge indispensable la formation d’une masse critique de « consumocrates », soit « des citoyens qui portent attention à autrui (…) au moment de déterminer ce qu’est un produit ou un service désirable ».
Afin d’évoluer sainement, Impak Finance devra cependant « veiller à l’amélioration continue des entreprises participantes dans la poursuite de leurs objectifs de développement durable », dit Martin Dumas. Par exemple, la protection de la vie aquatique ne devrait pas se faire au détriment d’autres enjeux, tels que le bien-être des travailleurs. Selon lui, Impak devrait aussi inviter les usagers à éviter la surconsommation par des slogans appropriés, en vue de limiter les gaz à effet de serre (GES).
Une cryptomonnaie plus propre?
Alors que la plus ancienne et la plus populaire des cryptomonnaies dans le monde, le bitcoin, est critiquée pour la forte consommation énergétique qu’entraîne son utilisation, on peut se questionner sur l’empreinte carbone du MPK. « Les cryptomonnaies peuvent être attrayantes si on veut éviter le recours à l’État et aux banques pour des raisons idéologiques. Mais elles sont souvent très énergivores », soulève Charles Séguin, professeur au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal (voir encadré).
À titre d’exemple : selon le site spécialisé Digiconomist, la consommation d’électricité du bitcoin sur un an s’élève actuellement à 47,5 TWh. Autrement dit, une seule transaction en bitcoins consommerait 2,7 fois plus d’énergie que 100 000 transactions par carte VISA!
Impak Finance dit éviter l’écueil de la surconsommation énergétique au moyen d’un système de transaction automatique moins complexe. L’entreprise emploie aussi du matériel informatique remis à neuf et connecté à des serveurs installés au Québec. Comme ils carburent à l’hydroélectricité, ces équipements génèrent un impact carbone moindre que s’ils tournaient à l’énergie fossile
Impak Finance ne cache pas son ambition de s’implanter sur tous les continents. « Notre vision est que l’économie d’impact devienne l’économie tout court », confie Velina Serafimov. Révolution ou pas, c’est au Québec que l’application fera ses premiers pas.
Pourquoi le bitcoin est-il lourd en GES?
Lorsque deux personnes échangent un bitcoin, la transaction doit être validée par un tiers, dit le « mineur », qui sera lui-même récompensé en bitcoins pour son intervention. Chaque validation nécessite de résoudre un problème mathématique complexe, demandant une importante force de calcul informatique. La valeur du bitcoin ayant explosé après son lancement en 2009, les activités de minage se sont multipliées, jusqu’à la mise au point de machines de validation automatiques. Celles-ci se concurrencent par leur force de calcul qui dépend directement de la puissance énergétique des ordinateurs. La prolifération même de ces machines de validation a mené à la création de fermes de minage très énergivores, notamment en Chine, où l’énergie est surtout produite par des centrales au charbon, puissant émetteur de GES. Celles installées au Québec bénéficient au moins d’une source d’énergie hydraulique, plus propre.
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