Une craque dans le béton

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À Percé, c’est en 1974 que ça s’est passé. Les plages de galets où on faisait sécher la morue ont été remplacées par un mur de béton long de 900 mètres.

Un cadeau du gouvernement provincial pour développer les régions. Une bonne partie de la route 132, qui fait le tour de la Gaspésie, est également venue longer la côte, offrant de magnifiques paysages aux automobilistes et aux touristes. Cette route était elle-même protégée par des murs de béton armé ou des enrochements massifs.    " ["post_title"]=> string(0) "" ["post_excerpt"]=> string(0) "" ["post_status"]=> string(7) "publish" ["comment_status"]=> string(6) "closed" ["ping_status"]=> string(6) "closed" ["post_password"]=> string(0) "" ["post_name"]=> string(24) "une-craque-dans-le-beton" ["to_ping"]=> string(0) "" ["pinged"]=> string(0) "" ["post_modified"]=> string(19) "2021-02-25 14:07:25" ["post_modified_gmt"]=> string(19) "2021-02-25 19:07:25" ["post_content_filtered"]=> string(0) "" ["post_parent"]=> int(0) ["guid"]=> string(54) "https://unpointcinq.ca/?post_type=blog-post&p=9276" ["menu_order"]=> int(0) ["post_type"]=> string(9) "blog-post" ["post_mime_type"]=> string(0) "" ["comment_count"]=> string(1) "0" ["filter"]=> string(3) "raw" ["displayCategories"]=> bool(true) ["displayAuthor"]=> bool(false) ["displayAuthorBottom"]=> bool(true) ["header"]=> string(4) "blog" ["page_banner_options"]=> array(1) { [0]=> string(0) "" } }
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06 décembre 2017 - Laurent Da Silva, Économiste principal chez Ouranos

Dans les années 60 et 70, le béton vivait son âge d’or. Montréal était d’ailleurs considérée comme une des villes nord-américaines qui exploitait le plus abondamment et le plus pleinement le potentiel de ce matériel. Et alors que des architectures magistrales comme Habitat 67 ont été érigées, on a vu apparaître de gros blocs monotones assez moches, dont certains pavillons universitaires et édifices gouvernementaux. J’ai passé une bonne partie de mes études dans l’édifice Decelles de HEC Montréal, qu’on surnommait affectueusement le « bunker » en raison de l’absence de fenêtres et de sa façade en béton armé. À l’époque, c’était signe de modernité. Même nos plages ont été bétonnées. De la Bretagne jusqu’au nord-est des États-Unis en passant par la Gaspésie, on « mettait ça propre » pour accueillir les touristes et les visiteurs. Une frontière artificielle entre la mer et la terre qui transforme le paysage en une sorte de tableau, un décor où on venait davantage contempler la mer que la sentir, la toucher ou la marcher.

À Percé, c’est en 1974 que ça s’est passé. Les plages de galets où on faisait sécher la morue ont été remplacées par un mur de béton long de 900 mètres.

Un cadeau du gouvernement provincial pour développer les régions. Une bonne partie de la route 132, qui fait le tour de la Gaspésie, est également venue longer la côte, offrant de magnifiques paysages aux automobilistes et aux touristes. Cette route était elle-même protégée par des murs de béton armé ou des enrochements massifs.    

Malheureusement, ce qui a probablement fait de la Gaspésie un attrait touristique incontournable du Québec est en train de causer bien des maux de tête aux différentes communautés côtières et au gouvernement provincial. Le rehaussement du niveau marin, l’augmentation de la fréquence des tempêtes et la perte du couvert de glace menaceront 1,5 G$ d’infrastructures dans l’Est-du-Québec au cours des 50 prochaines années. Ce qui nous a protégés pendant des décennies nous cause maintenant des problèmes : l’effet réflectif des murs de béton et des enrochements a fait disparaître les plages qui dissipaient l’énergie des vagues et des tempêtes.

Ça aura donc pris plus de quatre décennies, des tempêtes dévastatrices et de nombreuses craques dans le béton armé du mur de Percé pour se rendre compte que ce qui nous permettra de lutter efficacement contre le défi climatique est une infrastructure… naturelle.

À Percé seulement, la perte de la promenade en bord de mer aurait des conséquences économiques dramatiques, faisant perdre le pouvoir d’attraction de toute la région gaspésienne. La raison est simple : quand Percé va mal, c’est toute la Gaspésie qui souffre. La région perdra potentiellement plus de 40 M$ de revenus annuels liés aux activités économiques si rien n’est fait pour protéger les infrastructures touristiques et les attraits naturels de Percé.

En 2015, une étude économique montrait qu’à la lumière de ce qui s’en vient pour Percé dans les prochaines décennies, la solution la plus rentable économiquement serait une recharge de plage en galets.

Aussi efficace qu’un mur de béton pour se protéger contre les tempêtes qui se forment dans le golfe du Saint-Laurent, elle serait surtout beaucoup plus résiliente face à l’incertitude entourant l’évolution des conditions climatiques et maritimes. Et, en bonus, beaucoup plus intéressante sur le plan récréotouristique. Je vous laisse en juger par vous-même.

Cette étude et l’acharnement de l’ancien maire de Percé et de ses fonctionnaires auront porté fruit, car, lors de la prochaine saison à Percé, on retrouvera, 44 ans plus tard, les magnifiques plages de galets… morue en moins. Ça aura donc pris plus de quatre décennies, des tempêtes dévastatrices et de nombreuses craques dans le béton armé du mur de Percé pour se rendre compte que ce qui nous permettra de lutter efficacement contre le défi climatique est une infrastructure… naturelle. Un écosystème vivant, malléable et flexible. Percé nous montre aujourd’hui la voie à suivre dans nos actions en changements climatiques.

Je vous laisse sur les mots d’un géant de la culture québécoise qui avait compris tout cela bien avant moi :

There is a crack in everything, that’s how the light gets in.

Leonard Cohen