Il y a en chacun de nous une part de bon et une part de mauvais : un Yin et un Yang, un côté nature et un côté givré, un Dark Vador et un Luke Skywalker. Ces deux forces contraires influencent nos décisions personnelles et par le fait même dictent l’évolution des grands mouvements de société et des phénomènes collectifs. Au cours des dernières années, la science économique a décidé de s’intéresser à la part d’ombre des individus. Au côté obscur qui nous pousse à faire des abus, des dépenses irrationnelles ou à prendre des décisions carrément stupides. Vous savez tous de quoi je parle!
En matière d’action contre les changements climatiques, nous sommes confrontés au même problème. Illustrons par l’exemple. Depuis le début des années 90, le gouvernement américain a imposé des obligations très strictes aux constructeurs automobiles afin qu’ils réduisent la consommation moyenne de leur flotte de véhicules. Une stratégie qui a mené à des améliorations phénoménales de l’efficacité des véhicules. Au Québec, le résultat s’est soldé par une baisse de la consommation moyenne des véhicules de 14 % depuis 1990!
195 % de VUS en plus
Le seul petit problème est que l’augmentation de la richesse personnelle a mené à une croissance de près de 2 millions de voitures sur les routes, alors que la population a crû de seulement 1,2 million de personnes. Pire encore, la catégorie des camions légers pour passagers, les fameux VUS, a connu une croissance de 195 % au cours de cette période. Autrement dit, les Québécois possèdent maintenant plus de véhicules… de plus en plus gros. Au final, malgré les progrès énormes dans l’efficacité des véhicules, la consommation de carburant a augmenté de 26 % dans le transport de personnes au Québec entre 1990 et 2014.
Cet exemple montre que, sans une compréhension de ce qui motive nos décisions et une démonstration de notre capacité à les influencer, nos politiques de réduction des gaz à effet de serre ou d’adaptation aux changements climatiques ne sont qu’un coup d’épée dans l’eau.
Il devient alors crucial de nous assurer que nos actions individuelles s’enlignent vers une trajectoire collective durable. Et, surtout, de nous demander comment nous pouvons modérer nos pulsions intérieures pour construire un avenir meilleur.
Une mouche dans l’urinoir
Les travaux du prix Nobel d’économie en 2017, Richard Thaler, permettent de rester optimiste face à ces défis. Avec beaucoup d’humour, ce professeur à l’Université de Chicago nous montre que de petits changements dans notre façon de concevoir nos politiques publiques peuvent avoir pour effet de modifier considérablement le comportement des gens. C’est ce qu’on appelle, en économie comportementale, des nudges (« coup de pouce » en français).
L’aéroport d’Amsterdam nous donne probablement l’exemple le plus cocasse et le plus puissant de ces fameux nudges. Le service d’entretien était aux prises avec un problème d’éclaboussures d’urine sur les planchers des salles de bains pour homme. En cherchant une manière de réduire la quantité de fluide projeté sur le sol, quelqu’un a eu l’idée de faire dessiner une petite mouche au fond de l’urinoir (voir l’image). Bam! C’était suffisant pour réveiller le puissant instinct du tireur d’élite dans chaque mâle. Résultat : 80 % moins d’urine retrouvée sur le plancher.
Comme lorsqu’il se tient devant l’urinoir, l’humain ne prendra pas nécessairement, au quotidien, la décision la plus logique ou la plus optimale pour lui et encore moins pour les autres. Il a parfois besoin d’un petit (ou d’un gros) coup de pied au derrière. En matière de lutte aux changements climatiques, le constat est le même.
Il faut trouver un moyen d’orienter les comportements individuels pour être cohérent avec la psychologie de ceux qui doivent agir, c’est-à-dire vous et moi.
Nos émissions de gaz à effet de serre sont comme l’urine sur le plancher; c’est un problème pour tout le monde, sauf pour celui qui émet le « polluant ». Il est essentiel de trouver notre mouche dans l’urinoir de la lutte contre les changements climatiques. Sinon, c’est l’empire du mal qui régnera sur la galaxie!
Je vous laisse encore une fois sur les paroles d’un sage qui avait compris cela bien avant moi :
In a dark place we find ourselves, and a little more knowledge lights our way.