Dossier spécial : Mille lieux
de vie
, partie 2

Une soirée à La Cafétéria

Gabrielle Anctil cuisine à La Cafétéria.
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Gabrielle Anctil cuisine à La Cafétéria.
Created with Lunacy 4 min

Vivre sous un même toit au sein d’une famille choisie, partager des valeurs et des soupers et contribuer à atténuer certains des maux de notre société… c’est ce qui se joue à La Cafétéria, une communauté intentionnelle du quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, dans laquelle vit Gabrielle Anctil, journaliste indépendante et auteure de l’essai Loger à la même adresse.

Photos: Rémi Leroux

En m’ouvrant la porte, Gabrielle ajuste son tablier de cuisine noir sur lequel se détache en lettres dorées le nom du lieu singulier dans lequel je m’apprête à entrer : « La Cafétéria ». Derrière elle, dans le long couloir débouchant sur la cuisine éclairée, deux vélos sont sagement rangés contre un mur. Au-dessus de l’un des bicycles, sur une affichette placardée, on peut lire :

Fondée en 2008, La Cafétéria est une communauté intentionnelle autogérée qui nourrit et loge ses membres et leurs aspirations en favorisant le partage des savoirs et la mutualisation des ressources.

Gabrielle m’a invité à souper parce que, m’a-t-elle expliqué, partager un repas avec les colocs de La Cafétéria est une belle façon de s’imprégner de l’esprit du lieu. Dans la cuisine, Ander est déjà en train d’éplucher des légumes. Ce soir, Ander et Gabrielle sont responsables de préparer le repas, l’un des deux soupers partagés de la semaine. Au menu : légumes au four, riz et tofu sauce BBQ maison.

Je me joins au duo pour émincer quelques poivrons et en profiter pour cuisiner Gabrielle, journaliste indépendante, à propos de son essai Loger à la même adresse (Les Éditions XYZ, 2023), dans lequel elle témoigne de sa vie à La Cafétéria depuis 14 ans.

Documents et aimants accrochés sur un frigo
Cuisine

« Une manière de vivre tournée vers l’avenir »

Livre Loger à la même adresse

Loger à la même adresse est une réflexion très actuelle sur les multiples crises qui fracturent nos sociétés : crise du logement en premier lieu, mais également crises climatique et environnementale, érosion de la conscience collective au profit de l’exaltation de l’individu, inégalités économiques et sociales croissantes, isolement, etc.

À ces crises, Gabrielle oppose une vision résolument enthousiaste et positive. Au cœur de celle-ci : la communauté intentionnelle, définie par la Foundation for Intentional Community, comme « un groupe de gens qui ont choisi de vivre ensemble et de partager des ressources sur la base de valeurs communes ».

« Qu’on parle de cohabitat, d’habitat participatif, de commune, d’écovillage ou de communauté intentionnelle, il s’agit dans tous les cas d’offrir des manières de vivre et d’habiter qui sont tournées vers l’avenir », écrit Gabrielle dans son essai.

Dans l’immeuble, cinq logements sont occupés par les membres de La Cafétéria, dont le grand 9 ½ du rez-de-chaussée qui concentre les espaces communs : salon, cuisine et garde-manger, salle à manger; auxquels s’ajoutent notamment l’atelier au sous-sol et une petite salle de gym sur la terrasse de l’un des appartements du troisième étage.

Au fil des années et des appartements qui se libéraient, la communauté intentionnelle s’est agrandie. Elle compte actuellement neuf personnes. En plus de Gabrielle, lors de ma visite, j’ai pu rencontrer Isaël qui travaille dans la sécurité en événementiel; Mariane, sexologue; Anaïs, employée à Polytechnique, et Ander, responsable de la programmation d’un lieu communautaire autogéré.

Mutualiser les ressources pour réduire son impact climatique

Il y a, dans cette manière de vivre et d’habiter « tournée vers l’avenir », une conscience de l’urgence climatique et, de fait, un passage à l’action. Gabrielle écrit :

Comment faciliter nos changements de comportements sans ajouter à notre liste de tâches déjà trop garnie? […] À La Cafétéria, comme dans de nombreuses communautés intentionnelles, le travail se fait en groupe. Nous parvenons ainsi à adopter un mode de vie plus faible en carbone et notre impact se trouve multiplié par le fait qu’il s’applique à une échelle plus grande que l’individu.

La mise en commun des ressources matérielles et immatérielles est l’un des bienfaits climatiques les plus visibles de cette vie collective, ajoute Gabrielle. Le partage d’équipements, d’outils, de connaissances et de savoir-faire est en effet une source inépuisable d’économies et de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Dans une étude sur l’impact environnemental du partage sur les émissions de CO2 des villes et des ménages, des chercheurs du Département d’économie de l’Université d’État du Colorado, aux États-Unis, ont montré que « l’addition d’un membre à une maisonnée réduit les émissions [de CO2] de 6 % par personne ». Plus les biens et services à forte intensité de carbone – énergie résidentielle, transport – sont partagés, moins les émissions associées sont importantes.

De nombreux autres biens entrent également dans cette équation de sobriété consumériste et climatique : petits électros, outils et matériel de bricolage, frigo, laveuse ou four. Dans celui de La Cafétéria, d’ailleurs, les légumes grillés commencent à sentir rudement bon.

L’alimentation, au centre d’une identité commune

La bouffe est l’un des autres grands avantages de la communauté intentionnelle sur l’environnement et le vivre ensemble. À La Cafétéria, la préparation des repas en duo est un plaisir partagé et un temps précieux pour socialiser, les doigts dans la sauce BBQ.

« Manger ensemble est l’une des manières les plus efficaces pour créer une communauté », note Gabrielle. Le repas est l’occasion de refaire le monde, d’organiser et de planifier des activités communes ou, simplement, de partager anecdotes et petites histoires du quotidien. Anaïs a enfin réclamé le montant qui lui revenait à la suite des fuites de données chez Desjardins. Bien qu’on soit un mardi, Isaël savoure la bière qui marque le début de « sa » fin de semaine, lui qui travaille essentiellement les week-ends.

Préparation de repas
Repas sur la table

Les habitudes alimentaires adoptées dans une communauté intentionnelle peuvent par ailleurs contribuer à réduire son impact carbone. L’achat d’aliments en grande quantité; la très faible consommation de viande, voire l’adoption du végétarisme ou du véganisme comme mode principal d’alimentation; la préparation en grande quantité et la valorisation des restes sont autant de gestes qui diminuent « l’impact de notre activité sur la planète », écrit Gabrielle.

Logement abordable et répartition des dépenses

En débarrassant la table et avant que Gabrielle ne me fasse visiter les autres espaces communs de La Cafétéria, notre échange se déplace sur le terrain du logement. Dans son essai, la journaliste aborde cette problématique exacerbée en milieu urbain, à Montréal en particulier.

« Vivre en cohabitat ou en simple colocation est une manière de réduire les coûts, bien sûr. Le problème c’est qu’il manque de grands logements à Montréal », explique-t-elle. Une communauté comme La Cafétéria est, d’une certaine façon, « en concurrence » avec les familles mononucléaires. L’explosion du prix des loyers et les difficultés d’accession à la propriété supposent des stratégies de contournement :

En raison de leurs valeurs, beaucoup de communautés intentionnelles viennent offrir un îlot de confort dans la cohue, que ce soit par les économies dues au partage des dépenses, ou, dans le cas des cohabitats, lorsque sont mises en place des mesures antispéculatives restreignant les profits auxquels peuvent aspirer les propriétaires, permettant donc aux suivants d’accéder à une propriété à un coût abordable.

Gabrielle raconte que leur immeuble a un temps été mis en vente par le propriétaire en 2022. Devenir propriétaires du bâtiment qui abrite leur communauté? En voilà une bonne idée, ont pensé les colocataires. Le prix – 2,5 millions de dollars – a vite réfréné leurs ardeurs.

Une chose est certaine : la demande pour ce type de logement abordable et de vie partagée est forte. À chaque annonce de recherche d’un ou d’une colocataire, La Cafétéria reçoit « une montagne de candidatures ».

Boîtes à lunch et laboratoire

Boites à lunch
Gabrielle et Ander en cuisine

Pendant que Gabrielle prépare les boîtes à lunch des colocs à partir des restes du souper, Ander finit de ranger la cuisine. Les autres ont regagné leurs pénates pour la soirée. Gabrielle en est convaincue, c’est dans l’énergie et l’intelligence collectives des communautés intentionnelles comme La Cafétéria que se trouvent les réponses aux crises multiples que nous traversons. Mais il faudrait accélérer la cadence. Dans la conclusion de son essai, elle écrit d’ailleurs :

Les défis auxquels fait face notre société sont nombreux. Pour les relever, il importe d’acquérir de nombreuses compétences techniques et émotionnelles. Il est primordial que nous apprenions à collaborer, et vite.

Avant de repartir dans la douceur toute relative de cette fin de soirée du mois de mars, je prends quelques photos de l’extérieur de l’immeuble qui abrite ce laboratoire inspirant. Depuis la rue, rien ne laisse deviner tout ce qui se vit et s’élabore derrière les fenêtres éclairées. Je repars revigoré par l’optimisme contagieux des colocs de La Cafétéria avec, en bouche, un petit goût sucré de sauce BBQ.

La Cafétéria, une communauté intentionnelle du quartier Hochelaga-Maisonneuve

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