Dossier spécial : Après-demain, le climat , partie 6

Le consommateur post-COVID: impatient, inquiet, conscient

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06 juillet 2020 - Diane Bérard, Journaliste de solutions

Selon diverses études, la consommation des ménages serait responsable de 60 % à 75 %* des émissions des gaz à effet de serre (GES) de la planète. Et des changements dans nos comportements de consommation pourraient entraîner jusqu’à 75 %** de la réduction des GES d’ici 2050. Quelles traces pourrait laisser la pandémie dans notre cerveau de consommateur? Pour le savoir, Unpointcinq s’est entretenu avec Myriam Ertz, professeure au Département des sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle y est aussi responsable du Laboratoire sur les nouvelles formes de consommation.

La COVID-19 nous a forcés à adopter de nouvelles habitudes de consommation. D’autres crises ont-elles influencé notre façon de consommer?

Myriam Ertz

La crise financière et économique de 2008 a réhabilité des formes de consommation oubliées, comme la consommation de seconde main, le troc et la consommation collaborative. Ces comportements sont réapparus, mais sous une forme actualisée grâce au développement des réseaux sociaux et des plateformes permettant les échanges de biens entre les gens.

Ces nouveaux comportements ont-ils perduré?

Oui, parce qu’ils sont nés d’une combinaison de facteurs sociaux, économiques et technologiques. Sur le plan social, rappelons que l’éthique écologique était encore marginale au cours des années 1990. Puis, en 2006 était lancé le documentaire choc An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange), dans lequel Al Gore (NDLR : ancien vice-président des États-Unis et Prix Nobel de la paix en 2007 avec le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat [GIEC]), présente sa campagne de sensibilisation au réchauffement planétaire. Deux ans plus tard, au moment de la crise financière, les préoccupations environnementales ont commencé à se démocratiser. Ajoutez les longues années d’austérité post-crise financière, qui ont installé un sentiment d’insécurité et forcé les consommateurs à se questionner sur leurs dépenses. Et la technologie nous a donné les moyens d’explorer d’autres façons de consommer, notamment en achetant des biens de seconde main.

Pourquoi conserverait-on des habitudes de consommation adoptées sous la contrainte du confinement?

On observe que lorsqu’un consommateur est contraint d’adopter un comportement de façon prolongée (ne pas utiliser son automobile, par exemple), il lui arrive de se convaincre que ce comportement lui convient. Il adopte une nouvelle routine et se dit que ce n’est pas si mal après tout, que réduire son utilisation de la voiture est bon pour sa santé et pour la planète. C’est une stratégie d’autorégulation : on ajuste notre attitude à notre comportement afin de ne pas être en dissonance cognitive. 

Lorsque la situation revient à la normale, certains consommateurs conservent ce comportement parce qu’ils avaient des prédispositions psychologiques envers celui-ci. Chez les autres, on observe des comportements résiduels, soit des traces du comportement contraint. Par exemple : sans abandonner l’auto en solo, on remet en question son usage automatique en toutes circonstances.

Durant le confinement, on a forcément moins consommé. La déconsommation signifie moins d’extraction de ressources, moins d’énergie, de transport, bref moins d’impact sur le climat. Continuerons-nous à déconsommer?

La pandémie nous a rappelé que la consommation n’est pas qu’utilitaire. Elle est aussi émotive. En situation normale, lorsque tout est accessible, cette composante irrationnelle de notre consommation est masquée. Mais lorsqu’acheter devient compliqué – files d’attente, risques de contamination –, on prend conscience du superflu. La crise de la COVID-19 peut devenir un marqueur et imprimer dans notre cerveau qu’on peut agir autrement.

Pour l’instant, la posture du consommateur oscille entre l’impatience de revenir à la normale et l’inquiétude face à ses finances, à l’économie et à l’état de la planète. Qu’est-ce qui va gagner?

Au cours des premières semaines de la pandémie, l’aspect traumatique de cette crise a privilégié l’inquiétude. Les annonces de déconfinement et de réouverture des commerces stimulent pour leur part l’impatience. Mais je doute que ce sentiment demeure. Le retour à la normale va calmer cette impatience et raviver l’inquiétude. Le chômage, la précarisation de certaines catégories d’emplois et la menace d’une récession exerceront une pression à la baisse sur la consommation pour un certain temps.

L’Union des consommateurs a établi que trois comportements de consommation ont un impact direct sur la transition climatique : renoncer à la voiture, réduire ses voyages en avion et manger moins de protéines animales. Voyons comment la pandémie pourrait les influencer. Commençons par la voiture…

C’est une tendance plutôt urbaine. J’habite Chicoutimi et renoncer à ma voiture est impossible. Cependant, j’évoquais plus tôt que les crises provoquent des traumatismes pouvant laisser des comportements résiduels. Avant la pandémie, on observait à Chicoutimi une augmentation des déplacements collaboratifs – covoiturage, service de raccompagnement – pour pallier le manque de transport collectif. C’est sûrement le cas dans d’autres municipalités de cette taille et plus petites. On pourrait s’attendre à ce que la pause de déplacements imposée par la pandémie ait suscité des réflexions qui accentueront les déplacements collaboratifs, les gens ayant réalisé qu’ils n’ont pas toujours besoin de prendre leur voiture.

On ne reprendra pas l’avion de sitôt… Quels seront les impacts sur le climat?

La plupart des voyageurs sous-estiment l’empreinte carbone de leurs vacances annuelles. Ils se disent que ce n’est pas ce qui fera une différence pour le climat. Mais ils auront le temps d’y réfléchir davantage, puisque le transport aérien sera probablement sur pause toute l’année. Comme je l’ai expliqué plus tôt, à force de maintenir un comportement, on peut arriver à se convaincre de le conserver.

Les Québécois cuisinent beaucoup plus depuis le début de la pandémie. Au point de causer une pénurie de farine dans les épiceries! Le climat sortira-t-il gagnant de cette nouvelle habitude?

La tendance à cuisiner davantage plutôt qu’acheter tout fait pourrait réduire le gaspillage alimentaire et, du coup, avoir une influence positive sur le climat. Parce que fabriquer quelque chose soi-même exige plus d’efforts et qu’on accorde plus de valeur à ce qui a exigé un effort, on aura moins tendance à le gaspiller. Et puis, si cela demande un effort, on en produira moins. On peut acheter deux paquets de biscuits pour avoir des réserves. Mais on ne fera qu’un gâteau à la fois. Sans compter que le « fait maison » se conserve moins longtemps que la nourriture industrielle. On produit donc de plus petites quantités. Ce qui, encore une fois, réduit le gaspillage alimentaire.

Cet engouement pour la cuisine pourrait-il se traduire par une réduction de la consommation de viande?

Les consommateurs aiment la variété. Pendant la pandémie, les Québécois se sont certainement aventurés en terrain inconnu. Pour éviter l’ennui et la redondance des repas, ils ont possiblement exploré les protéines non animales. On pourrait parler de « braconnage culinaire », un concept que j’adapte de celui de « braconnage culturel » du philosophe Michel de Certeau. Il dépeint les producteurs de biens comme des propriétaires qui veulent contrôler les comportements des consommateurs sur leurs terres, c’est-à-dire leurs habitudes d’achat. Mais ces consommateurs se comportent comme des braconniers. Ils s’approprient ce qui leur convient et rejettent ce qui ne leur convient pas. Et ils posent des actes de résistance, comme zapper la publicité. Le braconnage culinaire consisterait donc à explorer d’autres cuisines que celles pratiquées jusqu’ici et d’autres circuits d’approvisionnement, comme les paniers vendus par des fermes locales.

Notre utilisation d’Internet, qui a explosé pendant la crise à cause du télétravail et de la consommation en ligne, ne va pas dans le sens de la transition climatique…

En effet, il faut parler des besoins énergétiques de l’activité numérique. Des besoins qu’elle continuera de générer. Avant la pandémie, 20 % des achats étaient effectués en ligne et 80 % hors ligne. On s’attend à voir ces chiffres s’inverser, alors qu’une partie de nos comportements numériques de la pandémie s’installeront. L’alimentation des serveurs au moyen d’énergies renouvelables, comme c’est le cas au Québec avec l’hydroélectricité, devient une nécessité.

Il y a peut-être une lueur d’espoir. Vous constatez la montée de ce que vous appelez l’achat « digi-local » et « digi-responsable ». De quoi s’agit-il?

La pandémie a entraîné une agrégation de deux tendances : l’achat local et l’achat responsable. Le discours politique et des initiatives comme Le Panier bleu ont permis aux Québécois de prendre davantage conscience de l’impact de leur consommation sur l’économie et l’environnement. Et ils tendent à injecter ces critères dans leurs achats en ligne. D’où la montée de l’achat « digi-local » et « digi-responsable ». Si nos achats en ligne sont effectués auprès de commerces locaux, on compense un peu notre empreinte numérique par une réduction de notre empreinte transport. Et si ces achats sont réalisés auprès d’entreprises respectueuses de l’environnement, c’est-à-dire ayant une empreinte carbone plus faible que d’autres, on compense la consommation d’énergie issue du magasinage en ligne.

L’État est beaucoup intervenu pendant la pandémie pour dicter notre comportement. Peut-on imaginer une intervention aussi musclée en faveur de la transition climatique?

On ne peut pas comparer l’intervention du gouvernement pendant une crise sanitaire et pendant une crise climatique. La première implique de nombreuses décisions dans un secteur où l’État est souverain (NDRL : la santé publique). En matière de climat, c’est plus complexe. Les organismes supranationaux, comme l’Organisation mondiale du commerce, les accords bilatéraux et les traités de libre-échange limitent l’action des États.

Mais il y a aussi la manière de s’y prendre. Durant une crise sanitaire, l’État mise sur la peur pour influencer les comportements des citoyens, ce qui ne fonctionne pas pour la crise environnementale. Mes recherches démontrent que ce sont les bénéficies environnementaux utilitaires (économie d’énergie, meilleure santé, prolongation de la vie des appareils qui évite de devoir les renouveler, etc.), et non la peur ni le désir de stopper la crise climatique, qui incitent les consommateurs à modifier leur comportement d’achat. L’État peut donc favoriser la transition climatique en votant des lois qui forcent toutes les entreprises à inclure des bénéfices environnementaux utilitaires à leurs produits; des lois qui avantagent celles qui le font ou qui pénalisent celles qui ne le font pas. On rend ainsi les achats écologiques plus attrayants. Tout est donc question de volonté de la part des élus.

 * Union des consommateurs (2019). Changements climatiques, le rôle des consommateurs, Montréal.
** Munasinghe, M. et coll. (2009). Consumers, business and climate change, Sustainable Consumption Institute, University of Manchester.