Dossier spécial : Premières Nations, premières solutions , partie 3

Les Innus à la rescousse du caribou forestier

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©Mircea Costina / Shutterstock
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10 mars 2022 - Maxime Bilodeau, journaliste de l'Initiative de journalisme local

Avec le projet d’aire protégée du Pipmuakan, les Innus de Pessamit, une communauté située sur la Côte-Nord, veulent sauvegarder le caribou forestier, une espèce centrale dans leur culture. Une démarche bonne pour la biodiversité… et le climat!

C’est avec ses tripes que Jérôme Bacon St-Onge parle de minashkuau-atik, le caribou forestier, un animal au cœur de son identité et de celle des 4000 membres de sa communauté. Leur lien avec ce cervidé est de l’ordre du sacré, explique le vice-chef au Conseil des Innus de Pessamit. « Il nous a nourris et habillés, et il est au cœur de nos croyances spirituelles. L’espèce est emblématique pour l’Innu, qui lui doit sa subsistance, sa survie culturelle, son mode de vie traditionnel », précise-t-il avec conviction. Ainsi, la chasse au caribou forestier déborde le seul cadre sportif.

Cela fait d’ailleurs des lunes que les Pessamiulnuats ne le chassent plus sur leur territoire ancestral, le Nitassinan. Cette espèce y est en déclin constant depuis des décennies, malgré les sacrifices consentis par les Innus de Pessamit pour assurer sa préservation. « On ne chasse plus le caribou depuis le début des années 2000, confirme Jérôme Bacon St-Onge. Nous demandons à nos gens de fournir un effort pour le protéger et favoriser son rétablissement. » Ce faisant, ils font donc une croix sur une partie de leur identité.

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©RRichard29 / Shutterstock

Tempête parfaite

Dans le secteur du Pipmuakan, une région située sur le Nitassinan à environ 150 km au nord-ouest de Pessamit, la survie même de la population de caribou forestier est menacée. Le taux de perturbation de l’espèce y est de près de 75 %, soit bien en deçà du seuil de 35 % recommandé pour favoriser son maintien. En cause : la transformation de son habitat, la forêt boréale, qui est de plus en plus fragmentée par les activités de villégiature et par les coupes forestières qui ont de nombreux effets collatéraux, comme dans un jeu de domino.

Les scientifiques sont quasiment unanimes à ce sujet : l’exploitation forestière est la principale cause du déclin de cette espèce.Jérôme Bacon St-Onge, vice-chef au Conseil des Innus de Pessamit

Lorsque les abatteuses, les débusqueuses et les véhicules de transport terminent leur besogne, ils laissent derrière eux une forêt en régénérescence. Ce « rajeunissement » augmente la disponibilité des ressources alimentaires dont raffolent les orignaux et les cerfs de Virginie, qui se retrouvent alors à côtoyer de près les caribous. Seul problème : les prédateurs de l’ensemble de ces cervidés, comme les loups et les coyotes, affluent aussi en masse, profitant des chemins forestiers pour se déplacer plus facilement dans les bois. Cette combinaison de menaces est fatale pour le caribou, dont le taux de reproduction est lent.

« Les scientifiques sont quasiment unanimes à ce sujet : l’exploitation forestière est la principale cause du déclin de cette espèce », tonne Jérôme Bacon St-Onge. « Au moins, on sait exactement quoi faire depuis 1999, confirme Louis Bélanger, président de la Commission forêt de Nature Québec et professeur retraité du Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval. Il faut protéger légalement les massifs forestiers intacts où les populations de caribous auront la chance de se rétablir. »

Caribou forestier
©Elizabeth Caron / Shutterstock

Une planche de salut

C’est exactement ce en quoi consiste le projet d’aire protégée d’initiative autochtone du Pipmuakan piloté par le Conseil des Innus de Pessamit (voir encadré). Cette proposition couvre 2761 km2, soit 0,18 % de la superficie terrestre du Québec. Déposée auprès du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) en novembre 2020, elle est le fruit d’une démarche d’étude et d’analyse entamée en 2016 et est appuyée par plusieurs acteurs, comme la division québécoise de la Société pour la nature et les parcs.

Notre aire protégée constituerait dans les faits un gigantesque puits de carbone; nous voulons chiffrer ce potentiel de captation.Marie-Hélène Rousseau, ingénieure forestière

« Nous avons documenté les connaissances traditionnelles relatives au caribou, effectué des relevés de populations par drone, confirmé les sites clés pour cette espèce parapluie », explique l’ingénieure forestière Marie-Hélène Rousseau, aussi responsable du dossier au Conseil des Innus de Pessamit.

Espèce parapluie : une définition

« Espèce animale ou végétale (souvent à habitat étendu) dont les besoins sont similaires à ceux de nombreuses autres espèces vivant dans le même habitat. En assurant la protection de ces organismes, on protège également les autres espèces végétales et animales du même territoire. »

Source : Conservation de la nature Canada

Alors que le dossier est présentement toujours à l’étude auprès du MELCC, les Innus de Pessamit continuent à documenter le projet d’aire protégée du Pipmuakan. « Nous sommes en contact avec des experts en séquestration du CO2. Notre aire protégée constituerait dans les faits un gigantesque puits de carbone; nous voulons chiffrer ce potentiel de captation », révèle Marie-Hélène Rousseau, insistant sur le caractère préliminaire de ces travaux menés avec la communauté. « Nous assistons à une convergence entre les savoirs autochtones traditionnels et la science dans ce projet. C’est ce qui fait sa force », se réjouit Jérôme Bacon St-Onge.

Un dossier à l’étude

Pour l’instant, les demandes des Innus de Pessamit relativement à la protection du Pipmuakan restent lettre morte. Interrogé à ce sujet, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a répondu à Unpointcinq que « la proposition du Pipmuakan sera analysée dans le cadre des travaux à venir pour la progression du réseau d’aires protégées ». Cette démarche gouvernementale prendra « en considération non seulement la pertinence écologique d’une proposition, mais aussi la consultation des acteurs du milieu », nous précise-t-on. Même son de cloche au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui tiendra compte des demandes des Innus dans sa stratégie pour les caribous forestiers et montagnards attendue en 2024.

Le b.a.-ba de l’aire protégée d’initiative autochtone

Créé en 2021 par le gouvernement du Québec, le nouveau statut d’aire protégée d’initiative autochtone vise la conservation d’éléments de la biodiversité et des valeurs culturelles qui leur sont associées et qui sont d’intérêt pour une communauté ou une nation autochtone sur les terres du domaine de l’État. Le Conseil des Innus de Pessamit aspire, avec sa proposition du Pipmuakan, à ce statut.

La Loi sur la conservation du patrimoine naturel (LPCN) prévoit notamment qu’un « guide concernant la création, la gestion et la mise en valeur » de ces aires protégées doit être élaboré en collaboration avec les Premières Nations avant d’être rendu public. Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques en est encore toutefois à définir la démarche pour ces travaux.

« Les dispositions relatives à ce nouveau statut sont maigres, commente Louis Bélanger, président de la Commission forêt de Nature Québec. En quoi consiste une aire protégée d’initiative autochtone? Est-ce différent des autres catégories d’aires protégées prévues dans la LPCN? Qu’est-ce que ça change, concrètement? Personne ne peut répondre à ces questions; tout est à définir », souligne-t-il. En 2018, le Cercle autochtone d’experts a publié un rapport décrivant le concept des aires protégées et de conservation autochtones au Canada. Cette vision est cependant distincte de celle proposée par le gouvernement du Québec, qui cogère depuis déjà plusieurs années des parcs nationaux dans le Nord (donc des territoires protégés) en collaboration avec plusieurs Premières Nations.

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