
Depuis 2016 à l’Assomption, Daniel Kneeshaw, professeur à l’UQAM et chercheur, travaille avec toute une équipe à restaurer une tourbière envahie par les plantes exotiques. Un milieu humide indispensable dans la lutte contre les changements climatiques.
Classé cet automne comme réserve naturelle par le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), le boisé des Terres noires, à l’Assomption, est un patrimoine à haute valeur écologique.
Pourtant, ce milieu composé de divers peuplements forestiers et milieux humides n’a pas toujours fait l’objet de tant d’attention. Bouleversé par l’activité humaine pendant des décennies et frappé de plein fouet par les dérèglements climatiques, il fait heureusement aujourd’hui l’objet d’un vaste projet de renaturalisation mené conjointement par l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FCEL), mais aussi par plusieurs étudiantes-chercheuses, des bénévoles et des élus municipaux.
Visite guidée avec, entre autres, Réjean Dumas, biologiste et représentant de la FCEL, des employées de l’organisme et des étudiantes du professeur et chercheur Daniel Kneeshaw, du Département des sciences biologiques de l’UQAM.

Gabrielle Roberge, chargée de projet et finissante à la maîtrise à l’UQAM, nous accueille sur le site. Elle nous présente le travail qui a déjà été réalisé, mais aussi celui qui reste à faire. À l’arrière-plan, on constate l’invasion du phragmite, ou roseau commun. Présente sur tout le territoire de la réserve, cette plante exotique a profité du bouleversement du climat des dernières décennies pour envahir et déstabiliser l’écosystème de la tourbière.

Dans un contexte de crise climatique, détaille Gabrielle, certaines espèces sont plus favorisées que d’autres. Le phragmite en fait partie. Sa tige se termine par de petits grains fins et volatiles qui se propagent facilement. C’est ce qui la rend difficile à contrôler; elle devient ainsi une menace pour les autres espèces arborescentes et arbustives. « En résulte une perte de biodiversité. Or, moins de biodiversité, c’est moins de résilience face aux changements climatiques », précise-t-elle.

Pour se rendre au boisé, on traverse l’un des nombreux champs de la région. Pendant des années, ces terres ont été consacrées à l’agriculture et certaines le sont encore. Les forêts, pour la plupart, ont été rasées, sinon fortement diminuées, provoquant des effets majeurs sur la santé des sols. Le réseau hydrologique a été fortement perturbé, explique Daniel Kneeshaw, en entrevue avec Unpointcinq. Le phragmite pompe notamment de grands volumes d’eau et contribue à assécher le sol encore plus.

À l’extrémité du chemin du Brûlé, on arrive finalement au boisé. Située sur le terrain protégé de la FCEL de 37,4 ha, la tourbière en occupe environ 10 ha. Le territoire est divisé en plusieurs secteurs de recherche pour les besoins de l’UQAM.
Ancien terrain d’un fermier de la région dans les années 1970, il a en grande partie été vidé de sa terre noire. Riche en matière organique, cette dernière a fait le bonheur des jardiniers locaux de l’époque. Mais sa rareté sur le site aujourd’hui déséquilibre l’écosystème. Le terrain est devenu inondable et très humide par mauvais temps et la perte des grands arbres l’expose davantage à la chaleur en été. « Il faut environ 1000 ans à la nature pour produire un mètre de tourbière et on doit aujourd’hui dépenser des millions de dollars pour reproduire l’activité naturelle de la forêt », explique Daniel Kneeshaw.
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Le nerprun bourdaine est l’autre plante envahissante en compétition avec arbres et arbustes. Gabrielle nous montre à quel point cet arbuste est résistant. Même jeune, ses racines sont déjà vigoureuses. Gabrielle en a fait son sujet de maîtrise. Sur le site, elle s’occupe de la gestion des plantes envahissantes.
L’expérimentation qu’elle mène pour se débarrasser efficacement du nerprun afin de permettre aux autres plantes de l’écosystème de s’épanouir fera avancer la science. « C’est un laboratoire naturel à ciel ouvert », confirme Daniel Kneeshaw.


Le reste de l’équipe du site nous rejoint pour la visite : Réjean Dumas, responsable de la FCEL et coordonnateur des opérations, ainsi que Megan et Britany, deux employées de la FCEL. Gabrielle est accompagnée de deux autres étudiantes, Joanie, auxiliaire de recherche, et Coralie, bénévole. Tous sont mus par le désir de faire œuvre utile pour lutter contre les changements climatiques.
Daniel Kneeshaw confirme que « ramener une tourbière à l’état qui était le sien avant sa perturbation par l’activité humaine nécessite beaucoup d’efforts, de temps et d’énergie ». Un travail indispensable « puisqu’une tourbière emmagasine le carbone de façon très efficace. Si on la protège, ce carbone ne retournera pas dans l’atmosphère ». Le défi est donc de taille, mais l’effet, réel.

Le boisé des Terres noires abrite la première réserve naturelle en milieu privé faisant l’objet d’un projet de restauration à grande échelle, nous explique Réjean: « L’identification du boisé comme écosystème prioritaire est issu d’un exercice de planification régionale visant à conserver, restaurer et connecter des milieux naturels. »
« Une forêt dense est plus résiliente », prolonge Gabrielle Roberge. Pour favoriser son développement, différentes essences ont été choisies selon le type de sol et l’espacement. Pour l’instant, mélèzes, érables rouges et aulnes rugueux sont les espèces qui ont le plus de succès.
En faire ensuite le suivi, selon un protocole expérimental précis, est essentiel, précise Daniel Kneeshaw : « La plantation d’arbres favorise la captation du carbone. Puisque la Terre se réchauffe, ce genre d’oasis naturel permet de refroidir l’eau des environs et donc de diminuer la chaleur à l’échelle locale. Il est donc important de trouver les espèces qui poussent et qui se développent le mieux dans ces nouveaux milieux humides. »

Pour parler de tout ce travail, Daniel Kneeshaw propose le terme « renaturaliser ». Autrement dit: ramener l’écosystème au stade où il était avant la perturbation par l’humain. À distinguer du tree planting, qui a des visées commerciales. L’équipe réagit fortement à ce terme et nous répond de concert que l’objectif ici est que « notre action perdure dans le temps », commentent Megan et Joanie.

En retournant vers notre véhicule, le long du sentier principal, notre attention est attirée par de légers bruissements sur les feuilles d’automne récemment tombées. Comme cette couleuvre, plusieurs animaux et reptiles ont investi le lieu. La création d’un étang a favorisé l’apparition de sept espèces d’amphibiens, dont différentes espèces de rainettes et grenouilles. De nombreuses espèces d’oiseaux ont également élu domicile dans le boisé, dont une bécasse rencontrée en début de visite avec Gabrielle. Autant de signes positifs que la nature reprend ses droits.