Les agriculteurs du Bas-Saint-Laurent s’adaptent à la sécheresse

Sécheresse agriculteurs Bas-Saint-Laurent s'adaptent changements climatiques
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Luc Bérubé, producteur de pommes de terres, devant son étang d'irrigation. © Rémy Bourdillon
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Depuis plusieurs années, la région est la proie de la sécheresse en été, une nouvelle réalité qui complique le travail des agriculteurs. L’heure est à l’adaptation dans les champs.

Au Québec, on connaît le blanc de l’hiver, le vert du printemps et les teintes flamboyantes de l’automne. Dans le Bas-Saint-Laurent, le jaune paille s’ajoute désormais à cette palette, les quatre derniers étés ayant été marqués par des épisodes plus ou moins sévères de sécheresse.

Le phénomène aurait même commencé quelques années plus tôt, remarque Luc Bérubé, un producteur de pommes de terre établi à Trois-Pistoles. « On a des déficits de précipitation depuis 2012 », dit-il. Si bien que, dès 2015, il a dû commencer à irriguer ses plants, car ses tubercules, constitués à 85 % d’eau, avaient trop soif. « À ce moment-là, sur la douzaine de producteurs de pommes de terre de la région, quatre irriguaient un peu. Cette année, je n’en connais que deux qui ne le font toujours pas. »

L’investissement fait alors par Luc Bérubé a été colossal : sept étangs ont dû être aménagés pour irriguer ses 40 hectares de champs, pour une facture totale de 250 000 $. Mais la dépense a valu le coup. Le producteur, qui est aussi conseiller en agroenvironnement, calcule qu’une parcelle de terre irriguée produit 35 % plus de pommes de terre, soit 10 tonnes de plus par hectare chaque année.

Selon les simulations d’Ouranos, un consortium de recherche sur la climatologie régionale, la température moyenne dans le Bas-Saint-Laurent connaîtra une hausse de 2,7 °C à l’horizon 2050 par rapport à la période 1981-2010. Quant aux précipitations totales annuelles, elles augmenteront de 75 mm, mais surtout en hiver — où on verra notamment davantage de pluie à cause des températures plus clémentes — et au printemps.

Professeur au Département des sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Ali Assani a calculé qu’en moyenne, le couvert de neige a diminué de 20 % dans le sud du Québec depuis 1950. « Deux phénomènes se cumulent, détaille-t-il : d’un côté, la diminution de la quantité de neige réduit la quantité d’eau qui s’infiltre dans les nappes phréatiques. De l’autre, l’augmentation de la température en été n’est pas associée à une hausse des précipitations. Par conséquent, l’évapotranspiration augmente : l’eau disponible dans le sol, dont les plantes ont besoin, tend à s’évaporer… »

2,7 °C

C’est la hausse projetée de la température moyenne dans le Bas-Saint-Laurent d’ici 2050 par rapport à la période 1981-2010.

Les producteurs bovins et laitiers de cette région, qui n’irriguent pas leurs champs, sont parmi les principales victimes de cette situation. Les sécheresses successives sont venues à bout de leurs réserves de foin et, ces dernières années, nombre d’entre eux ont dû en acheter pour nourrir leur troupeau, parfois à l’extérieur du Québec. Le montant des compensations versées en 2020 par la Financière agricole pour l’achat de foin permet de mesurer la gravité de la situation : sur les quelque 66 millions de dollars versés dans l’ensemble de la province, plus du tiers, soit 24 millions de dollars, a été alloué aux producteurs du Bas-Saint-Laurent.

Il n’y a pas que les végétaux qui souffrent. « Des producteurs de lait me faisaient remarquer que, l’été dernier, les animaux n’avaient pas la chance de récupérer durant la nuit, car la température ne diminuait pas assez après des journées à 30 ou 35 °C », relate Sylvie Choquette, agronome au Groupe conseil agricole de la Côte-du-Sud. Ajoutez à cela la possibilité que d’autres événements météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents du fait des changements climatiques (orages violents, grêle, etc.), et vous obtenez un véritable casse-tête pour ceux qui vivent de la terre.

De précieux alliés pour protéger sols et prairies

Les producteurs agricoles gardent toutefois le moral, selon Mylène Gagnon, agronome à la Fédération de l’UPA du Bas-Saint-Laurent : « Travailler avec le climat, c’est leur quotidien. Ils font preuve de beaucoup de résilience : la première année, ils subissent, mais dès la deuxième année, ils adaptent leurs pratiques, leurs choix de semences ou la protection de leurs sols. »

Ainsi, des plantes plus résistantes à la sécheresse font leur apparition dans les champs bas-laurentiens : c’est notamment le cas du maïs, mais aussi de l’herbe du Soudan. En 2017, le propriétaire du ranch Danclau à Saint-Ulric, Daniel Reichenbach, a été le deuxième producteur de la région de Matane à planter cette herbe, qu’il décrit comme « un croisement entre du maïs et du sorgho qui peut monter à 6 pieds de haut ». Depuis, d’autres lui ont emboîté le pas en constatant ses bons rendements qui permettent de refaire rapidement des réserves de fourrage.

« On l’utilise comme plante-abri : on la sème avec de la luzerne et des graminées comme de la fétuque ou du dactyle », déclare le producteur bovin. Avec son déploiement express, l’herbe du Soudan protège le sol et y maintient une certaine humidité, ce qui aide les autres végétaux à s’implanter. Après avoir été récoltée à la fin de l’été, elle laisse place à une belle prairie qui sera là pour quelques années.

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Jean-François Rioux dans son champ de seigle. © Rémy Bourdillon.

Parlant de beaux champs, à Saint-Simon-de-Rimouski, Jean-François Rioux en a un qui est déjà d’un vert vif en ce début mai 2021. Il s’agit de seigle qui a été semé à l’automne, une pratique qui gagne elle aussi du terrain. « J’obtiens d’excellents rendements, mieux que ceux de certaines céréales semées au printemps, témoigne ce producteur laitier. Et cela me permet de mieux répartir mon travail sur toute l’année, car la fenêtre temporelle pour semer au printemps est assez étroite. »

En recouvrant le sol avant le premier gel, les céréales d’automne (le seigle, mais aussi le blé, le triticale, voire l’orge) le protègent de l’érosion causée par la pluie durant les redoux hivernaux, un phénomène qui nuit à la santé des cours d’eau environnants.

Dans le même esprit, l’agriculteur a installé des haies brise-vent dans ses champs, ce qui permet de freiner l’érosion éolienne des sols, explique l’agronome Sylvie Choquette. « Elles captent aussi de la neige, ce qui signifie qu’une plus grande quantité d’eau s’infiltrera dans le sol lors de la fonte. »

Un plan d’action déjà rédigé

Sylvie Choquette et sa collègue Mylène Gagnon ont pris part au volet bas-laurentien du projet Agriclimat, une initiative coordonnée par le Conseil pour le développement de l’agriculture du Québec et financée par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. De 2017 à 2020, des agriculteurs ont ainsi pu échanger sur les défis posés par les aléas du réchauffement planétaire et développer des pratiques d’adaptation.

Il faut en effet s’attendre à bien d’autres changements dans les fermes du Bas-Saint-Laurent, lit-on dans le rapport publié à la suite du projet Agriclimat : par exemple, on pourrait voir apparaître des systèmes de ventilation dans les bâtiments pour augmenter le confort des animaux et davantage d’arbres dans les champs pour leur offrir de l’ombre.

Quand on va proposer des actions, on va chercher à ce qu’elles soient accessibles à l’ensemble des entreprises.
Mylène Gagnon

Mais l’adaptation individuelle, à l’échelle de la ferme, ne suffira pas, poursuit le rapport : des actions devront être prises sur le plan régional, par exemple pour améliorer la gestion de l’eau à l’échelle des bassins versants. La recherche aura également un rôle à jouer : elle devra trouver les fourrages les mieux adaptés à la nouvelle réalité climatique, mais aussi améliorer les connaissances sur les nouvelles maladies et les insectes ravageurs qui seront attirés par des températures plus clémentes.

« Quand on va proposer des actions, on va chercher à ce qu’elles soient accessibles à l’ensemble des entreprises », insiste Mylène Gagnon, rappelant que toutes les fermes n’ont pas la même capacité financière pour s’adapter. Sensibiliser les institutions qui soutiennent financièrement les agriculteurs sera donc nécessaire.

Mais sur le plan de la rentabilité économique des entreprises agricoles du Bas-Saint-Laurent, les changements climatiques amènent deux bonnes nouvelles, à ne pas ignorer. D’une part, des premiers gels tardifs et des printemps hâtifs feront en sorte que les animaux passeront davantage de temps au pâturage et que les rendements seront meilleurs pour certaines cultures.

D’autre part, les producteurs qui ont déjà adapté leurs pratiques en tirent déjà des bénéfices. Prenez le cas de Jean-François Rioux : ces dernières années, il n’a pas manqué de foin, et a même pu en vendre à ses voisins mal pris. « Quand on reste dans nos zones de confort, on ne se pose pas de questions », philosophe-t-il. « Grâce » aux changements climatiques, il s’est remué les méninges, et ne le regrette pas. 

 

Cet article provient d’un cahier spécial «Une agriculture à la fois responsable, victime et solution», publié par le quotidien Le Devoir, en partenariat avec Unpointcinq.

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