Toute crise, individuelle ou collective, est par nature anxiogène. C’est d’autant plus vrai quand elle est d’une ampleur et d’une gravité sans précédent, comme c’est le cas avec la pandémie de COVID-19. Sur le plan de la santé mentale, quelles traces allons-nous garder de toutes ces perturbations ? Et quelles forces pouvons-nous en tirer pour désamorcer l’autre crise qui nous pend au nez, celle de l’urgence climatique ? La présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la Dre Christine Grou, se projette dans notre futur proche et partage ses pistes de réflexion.
Quelles séquelles psychologiques allons-nous personnellement garder de cette pandémie ?
Si on a tous vécu la pandémie, personne ne l’a vraiment vécue de la même façon. En fait, il y a trois facteurs qui vont influencer les séquelles que chacun portera. Le premier, c’est notre personnalité. Sommes-nous une personne confiante ou anxieuse ? Avons-nous confiance en nos moyens ? Sommes-nous une personne centrée sur les solutions ou tendons-nous à envisager le pire ?
Le deuxième facteur, c’est le contexte dans lequel chacun aura traversé la pandémie. Certains l’auront vécue plus durement parce qu’ils auront perdu un proche ou parce qu’ils auront fait face à de l’insécurité alimentaire à la suite d’une mise à pied, par exemple.
Des parents auront eu leurs enfants à temps plein, tentant de combiner télétravail et école à la maison. Certains auront été confinés dans une grande maison avec un jardin, d’autres à plusieurs dans un trois et demi.
Le troisième aspect à considérer, c’est le tissu social, qui est un facteur de sécurité pour la santé mentale. Le tissu social, c’est savoir que, si on est malade ou si on a besoin d’aide, quelqu’un sera là pour nous. C’est de pouvoir compter sur les proches et les gens autour. Donc, durant le confinement, avons-nous été entourés ou isolés ? Avions-nous des gens avec qui s’exprimer ?
Vous voyez, les conséquences de la pandémie seront très variées d’une personne à l’autre.
Et sur le plan collectif, que va-t-il nous rester de ce printemps 2020 ?
Ce qui va demeurer, c’est la prise de conscience qu’une catastrophe peut arriver, même ici au Québec, où on se sent d’habitude privilégié et protégé. Il restera une anxiété accrue parmi la population et certaines personnes auront des symptômes de choc post-traumatique. Je pense ici aux professionnels de la santé confrontés à la fin de vie difficile des malades de la COVID. On peut aussi s’attendre à ce que les besoins en santé mentale soient plus grands au cours des prochaines années.
Cependant, cette sensation d’avoir un nuage persistant au-dessus de la tête ne sera pas nécessairement indélébile. Rappelons-nous la tempête de verglas qui a frappé le Québec en 1998. Dans les deux années qui ont suivi, les gens étaient très prudents et gardaient des litres d’eau dans leur sous-sol avec des piles, des radios, etc. Cette insécurité a fini par s’estomper.
À plus long terme cependant, pensez-vous que la pandémie pourrait avoir des effets positifs sur notre santé mentale ?
Oui ! Le célèbre psychanalyste Carl Jung a dit que les crises nous contraignent à prendre des chemins qu’on n’aurait jamais fréquentés autrement. Et c’est vrai. Avec la pandémie, les gens ont découvert leur capacité individuelle à faire face à une telle crise. Ils seront rassurés de constater qu’ils ont une capacité d’adaptation qu’ils ne soupçonnaient pas et ils auront développé une résilience, une confiance en leurs moyens. Ça, ce sera un plus !
L’autre point positif, c’est que le confinement a contraint les gens à se replier sur eux-mêmes, ce qui a donné un espace pour l’introspection et une réflexion sur les liens significatifs qu’on entretient et sur leur importance dans nos vies. De plus, de nombreuses personnes ont découvert une autre façon de vivre en famille ou encore se sont mises à faire du sport pour préserver leur santé physique et mentale.
Pourquoi la pandémie a-t-elle provoqué une mobilisation sociale beaucoup plus forte que ne le fait la menace climatique, dont on entend pourtant parler depuis des années ?
Avec le virus, les gens ont eu une impression fondée de danger imminent. Que leur santé et potentiellement leur survie, ainsi que celles de leurs proches, étaient menacées. Pas dans 25 ans, maintenant ! La menace était concrète, tangible et immédiate, ce qui n’est pas nécessairement le cas avec les changements climatiques. Alors que la menace climatique est permanente, mais pas imminente, la pandémie est une menace imminente, mais pas permanente. Ce sont des contextes différents qui entraînent des effets différents.
D’autre part, il y a eu une mobilisation des décideurs, qui ont partagé des messages quotidiens, sans équivoque, sur l’importance de la conduite à tenir. Cette mobilisation del’État a montré le sérieux de la chose. Tout le monde devait se comporter de la même façon pour protéger la capacité de notre système de santé à traiter les gens. Tout le monde s’est rallié à ça.
Les chercheurs s’intéressent de plus en plus à l’écoanxiété et aux effets de la menace climatique sur la santé mentale. Sur le plan psychologique, quelles « compétences » pouvons-nous cultiver pour faire face plus sereinement au défi du climat ?
Cultivons la résilience, qui comporte deux ingrédients : le premier, c’est le sentiment de pouvoir faire quelque chose par rapport à une situation et le second, c’est la tolérance à l’incertitude. Il faut développer notre capacité à tolérer la possibilité qu’une catastrophe puisse arriver.
Cette entrevue provient d’un cahier spécial publié par le quotidien Le Devoir, en partenariat avec Unpointcinq.
Une répétition générale pour la crise climatique
Après-demain, le climatOn n’a jamais autant parlé de santé publique qu’en ce printemps covidien qui a mis, et met encore, les autorités compétentes à rude épreuve. Sans attendre que la poussière retombe, nous devons apprendre de cet épisode pandémique dans la perspective de l’inévitable crise climatique, soutient Céline Campagna, responsable scientifique du programme Changement climatique et santé de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).