Dans la famille Bombardier, donnez-moi le petit-fils. Charles, de son prénom, s’est donné pour mission de penser les véhicules du futur, carburant aux énergies renouvelables. Et, pour l’aider dans sa quête, il s’est trouvé une alliée de taille : la réalité virtuelle. Avec ou sans casque.
On a beau porter l’héritage d’une des plus importantes entreprises d’aéronautique au monde, on n’est pas pour autant à court d’imagination. Charles Bombardier, 43 ans, collectionne les flippers comme les bonnes idées. Et la dernière en date lui a valu d’être nommé ‒ au même titre que Bill Gates ‒ personne la plus innovante en design industriel en 2016 lors du Sommet de l’innovation et de l’entrepreneuriat, qui s’est tenu à New York.
L’innovation en question : Imaginactive, un laboratoire collaboratif de recherche créé en collaboration avec l’Université de Sherbrooke, où n’importe quel designer fou de nouvelles technologies, si possible écoénergétiques, peut voir se matérialiser son idée de véhicule du futur en deux temps trois mouvements, et ce, quel que soit l’endroit où il se trouve. Une idée qui a pris une dimension tout à fait nouvelle lors de la rencontre entre le petit-fils de Joseph-Armand et un autre geek de génie et homme d’affaires bien connu des « gamers » : Yan Cyr, fondateur de la compagnie Beam me up, spécialisée dans la réalité virtuelle.
Unpointcinq : Imaginactive, ça a démarré comment?
Charles Bombardier : En mars 2013, j’ai commencé à créer des concepts de véhicules en ligne. L’idée était, avant de faire un prototype, de savoir s’il y avait un intérêt du public pour de tels véhicules. Les prototypes réels, physiques, ça coûte très cher et ça prend beaucoup de temps, on dépense beaucoup d’énergie et on ne sait même pas s’il y a un marché réel ou non avant de se lancer dans l’aventure. J’ai donc fait appel à des designers industriels pour faire des dessins techniques et les publier en ligne et, ainsi, voir si le public, les investisseurs, les scientifiques ou les inventeurs qui travaillaient sur le même produit pouvaient être intéressés. Ça a aussi permis d’amasser l’information directement et d’améliorer le design de façon continue, tout en économisant sur les déplacements.
Imaginactive
- Développement de véhicules à base d’énergie renouvelables
- Diminution des déplacements lors de la phase de conception des véhicules
- Diminution des déplacements lors de l’exportation du principe de réalité virtuelle à d’autres projets
- RÉSULTAT : diminution des émanations de GES
Ce n’est pas franchement nouveau, l’idée des plateformes de partage. Qu’est-ce qui distingue celle-ci?
Yan Cyr : La réalité augmentée. La particularité de la salle de Sherbrooke est de permettre de concevoir un véhicule sans avoir à le fabriquer. On le fabrique de façon immatérielle. Il y a la réalité virtuelle normale [avec le casque] et l’autre : ici, on insère des boites aux quatre coins de la pièce et ça permet à toute cette surface de devenir le réceptacle de la scène. On peut alors s’insérer à l’intérieur de l’image, en l’occurrence, à l’intérieur des véhicules. Charles a vu sa soucoupe volante pour la première fois, il a mis sa tête dedans, est entré à l’intérieur et en a découvert toutes les couches.
Charles : Ce qui était nouveau, c’était de publier des idées non brevetées, de faire fi des conventions et de produire l’idée sur un véhicule qui n’existe pas encore. En général, dans l’industrie, les compagnies conçoivent le véhicule en secret et ensuite elles font faire un brevet, alors que, moi, je voulais gagner du temps. Au lieu de me rendre à l’étape du focus group avec un véhicule, je me rends au focus group deux heures après avoir eu l’idée.
Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les deux?
Charles : On m’a mis en relation avec Yan. On a fait un test : je lui avais envoyé des dessins en 3D de véhicules et je suis allé le voir à son bureau. Il a réussi à les faire apparaître devant moi en 3D. C’était la première fois que je les voyais vraiment. Ça permet de voir et de comprendre beaucoup mieux les choses. De là m’est venue l’idée de filmer ce qu’on voyait de l’intérieur et de commencer à le partager avec le public.
Yan : On avait un ami commun au Japon, sa femme travaillait pour un de mes bureaux à Tokyo. Il m’a dit : « J’en connais un aussi flyé que toi! » [rires]
La quasi-totalité des quelque 300 modèles conceptualisés à ce jour grâce au laboratoire utilisent des énergies renouvelables. Ça vous tient à cœur?
Charles : Chaque fois que je conçois un véhicule, je veille à ce que sa motorisation repose sur une source d’énergie qui est clean. Donc, il est alimenté soit par l’hydrogène, soit par des piles fonctionnant à l’énergie solaire, éolienne ou grâce aux barrages hydroélectriques.
On peut s’amuser, mais il faut que ce soit dans une optique où on respecte l’environnement. C’est vers ça que je pousse. Mon but, c’est d’inspirer les jeunes à imaginer le futur de manière positive, ce qui aura ensuite un effet sur les consommateurs, qui demanderont des produits moins énergivores.
Je réfléchis par exemple à des moyens de produire des produits récréatifs qui viendraient avec un système de compensation carbone. Par exemple, quand on fait du quatre-roues, on pourrait relier le véhicule à une application qui permettrait de faire planter des arbres pour chaque kilomètre parcouru.
Et la réalité virtuelle va même vous aider à aller encore plus loin en monitorant en temps réel les réactions du public aux prototypes…
Charles : C’est sur quoi on travaille actuellement : un neural manager. Cet outil permettra de savoir ce que les gens ressentent lorsqu’ils voient le prototype, sans filtre. Même si je suis inventeur et que je crois avoir eu l’idée du siècle, ça me prend une dose de réalité. Avec cette technologie, on connaîtra en temps réel les émotions du public, son ressenti, son engagement. Et les résultats sont là : on sait déjà que ça fonctionne. Dès cet été, la salle de Sherbrooke sera adaptée afin de pouvoir matérialiser ce concept. Le but dans tout ça, c’est d’épargner du temps, de l’énergie… et des GES!
Yan : On est en train de moderniser le laboratoire de Sherbrooke avec toutes ces fonctions à l’intérieur, et nous prévoyons mettre la technologie à la disposition de nos clients variés (universités, salons et centres commerciaux, notamment) dans trois à quatre mois. Par exemple, on travaille avec Génome Canada et l’Université McGill sur un projet de salle collaborative pour la recherche sur le génome humain. McGill collabore avec des chercheurs d’un peu partout dans le monde. Ils travaillaient avec trois écrans d’ordinateur. Un bordel pas possible. Imagine maintenant que ton génome est dans le centre de la pièce, que tu travailles dessus avec tes mains et que tu peux partager en temps réel ton expérience et tes réflexions avec d’autres chercheurs du monde entier!
On est carrément dans la science-fiction, là!
Yan : C’est notre quotidien! Toujours dans l’idée d’éliminer les distances ‒ et donc, les dépenses énergétiques ‒, les gens pourraient, pendant qu’ils chargent leur auto électrique, faire leur shopping à distance avec un module 360 et un module de collaboration qui les mettrait en lien avec la boutique. Un miroir intelligent capterait leur grandeur et ils pourraient essayer les vêtements de la bonne taille, virtuellement, avant d’aller récupérer leurs achats à un comptoir… Même chose pour l’immobilier. On a créé un outil pour des visites virtuelles, pour l’entreprise Move Home, de Sainte-Julie, qui aménage de tout petits espaces avec une empreinte écologique moindre. On peut l’utiliser avec ou sans lunettes.
Pourrait-on imaginer un outil collaboratif pour anticiper et prévenir les changements climatiques?
Yan : Si on est mégalo et qu’on n’a pas de limite de budget, oui, pourquoi pas! On pourrait imaginer un système de simulation de la terre en temps réel dans une salle. On pourrait tourner autour de cette terre et voir, en temps réel, les changements qu’elle subit, qu’on soit à la tête d’un pays ou d’une entreprise. On pourrait trouver des pistes de solution quant aux actions à entreprendre grâce à un système d’alerte, par exemple, qui attirerait notre attention.
En savoir plus
Sur la réalité virtuelle : Québec Science