Dossier spécial : Premières Nations, premières solutions , partie 12

Les Inuits veillent sur l’omble chevalier

Omble chevalier
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Ombles chevaliers dans une rivière d'eau claire. © Dan Bach Kristensen/ Shutterstock
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Retombées positives générales

04 avril 2022 - Maxime Bilodeau, journaliste de l'Initiative de journalisme local

Les experts ne s’entendent pas tous sur le sort de l’omble chevalier à l’ère des changements climatiques. Les Inuits du Nunavik, en revanche, perçoivent déjà des menaces bien réelles auxquelles ils s’attaquent à bras-le-corps.

Un Nunavimmiuq qui ferait la fine bouche devant l’iqalukpiq, l’omble chevalier? Ça n’existe pas, foi de Peter May, technicien de la faune et directeur adjoint au Centre de recherche du Nunavik, à Kuujjuaq, un village nordique de quelque 3000 âmes, situé au sud de la baie d’Ungava.

« Tout le monde ici raffole de ce poisson. Le pêcher, l’apprêter et le manger fait partie de nos traditions », raconte-t-il à l’autre bout du fil en direct du chef-lieu du Nunavik. Le « meilleur poisson du monde », comme on l’appelle à ces latitudes, est essentiel à l’alimentation des Inuits du Nunavik, car il s’agit de leur deuxième source de protéines et d’énergie après la viande de caribou.

Ungunniavik rivière à la baleine
Petit chalet près de la rivière Ungunniavik. © Mikhaela Neelin

Cependant, ce salmonidé au corps allongé et fusiforme est beaucoup plus accessible que le caribou et coûte moins cher à prélever, explique Jean-Sébastien Moore, professeur au Département de biologie de l’Université Laval et spécialiste de cette espèce phare de l’économie de subsistance du Grand Nord, qu’il étudie depuis plus de dix ans. L’abondance de ce poisson dans les eaux nordiques est un « enjeu de sécurité alimentaire », affirme ce chercheur, dont l’équipe s’est notamment intéressée au cas unique de l’omble chevalier de la rivière Nepihjee, près de Kuujjuaq.

Une mécanique subtile

Unique, parce que contrairement à d’autres bassins versants de la région, celui de la Nepihjee n’a pas toujours accueilli l’omble chevalier. Deux cascades localisées à l’embouchure du bassin ont longtemps bloqué le passage de cette espèce dite « anadrome » – qui vit en mer l’été, mais remonte jusqu’aux lacs d’eau douce en hiver. Il y a une vingtaine d’années, les cascades ont été dynamitées et des canaux de dérivation ont été créés afin que l’omble chevalier puisse nager jusqu’au bassin Nepihjee.

Toujours dans le but d’augmenter l’accès à cette ressource pour la communauté, les Inuits ont relâché, l’été dernier, 55 000 alevins dans les lacs où les ombles chevaliers se reproduisent, indique Peter May, qui dirige le projet d’élevage à l’écloserie de Kuujjuaq appelée Napuukaliuvik, qui signifie « endroit où de petits poissons sont élevés ». « Certaines années, c’est plus de 100 000 », dit-il, précisant que tout dépend du nombre d’œufs recueillis à l’automne à partir de ces poissons, qui sont remis à l’eau. Les œufs sont ensuite placés dans un incubateur où ils éclosent et les alevins grandissent durant l’hiver et le printemps. Une fois relâchés dans les cours d’eau, ces jeunes poissons finissent par ensemencer la rivière puis le bassin Nepihjee… au grand plaisir des pêcheurs.

Environnement en changement

Les changements climatiques pourraient néanmoins jouer les trouble-fête. Déjà, les habitants de Kuujjuaq, les Kuujjuamiut, remarquent que l’environnement de « leurs » ombles chevaliers se transforme. Le rebond postglaciaire, un phénomène géologique par lequel le sol tend à reprendre sa forme après une déglaciation – un peu comme un matelas lorsqu’on le quitte –, serait en cause. Ainsi, dans les dernières années, le Centre de recherche du Nunavik a dû restaurer la passe à poissons de la rivière Nepihjee en enlevant les rochers et matériaux granuleux qui l’obstruaient.

L’érosion occasionnée par la fonte du pergélisol et la baisse du niveau d’eau due à des périodes de faibles précipitations représentent d’autres menaces qui planent sur les ombles chevaliers de la Nepihjee et d’autres rivières du Nunavik. Dans le cadre de sa maîtrise en sciences naturelles réalisée à l’Université McGill, Mikhaela Neelin a interrogé près de 70 Inuits de 13 communautés du Nunavik. Le constat de la chercheuse est inquiétant : les changements climatiques sont susceptibles de limiter le mouvement de l’omble chevalier.

« Dans certaines communautés, on remarque que l’omble chevalier se raréfie, dans d’autres, c’est plutôt son aire de répartition qui tend à changer. De manière générale, les Inuits craignent de voir cette ressource alimentaire traditionnelle se tarir », affirme celle qui est dorénavant administratrice au sein de l’Association des chasseurs, des pêcheurs et des trappeurs du Nunavik. On s’inquiète en particulier de la présence de nouvelles espèces, comme le castor et l’ours noir. « Quand tu n’as jamais vu de castor de ta vie, tu te poses forcément des questions! »

Castor
Jeune castor près de Tasiujaq, Nunavik. © Mikhaela Neelin

Sur un pied d’alerte

Pour l’instant, les experts ne tirent pas la sonnette d’alarme sur le statut de l’omble chevalier. Les impacts des changements climatiques sur cette espèce, bien que plausibles, sont encore hypothétiques. « Les suivis d’abondance réalisés dans le Grand Nord par Pêches et Océans Canada sont bien clairs à ce sujet : l’espèce est globalement en bonne santé », tranche Jean-Sébastien Moore, qui insiste toutefois sur l’importance de continuer à l’étudier. « On ignore par exemple si des températures d’eau plus élevées exacerberont la mortalité lors de sa migration annuelle. »

Les Inuits sont tout de même sur un pied d’alerte. Des projets d’aménagement de cours d’eau se déroulent aussi ailleurs au Nunavik. Et les habitants n’hésitent pas à démanteler les barrages construits par les castors. « Comme ils reprennent vite leurs droits, il faut combiner ces actions avec du piégeage », précise Mikhaela Neelin, qui demeure à Tasiujaq. Des habitants de l’endroit interrogés suggèrent même de faire appel à des membres des Premières Nations cries et naskapies pour compenser le manque de savoirs traditionnels des Inuits sur le castor.

L’histoire à succès de la rivière Nepihjee peut contribuer à sauvegarder l’omble chevalier. Différentes communautés du Nunavik pourraient par exemple ensemencer les rivières où fraie ce poisson à partir d’alevins élevés dans des écloseries semblables à celle de Kuujjuaq. Les populations naturelles d’ombles chevaliers bénéficieraient ainsi d’un coup de pouce. « Le taux de survie des alevins est de 60 à 70 %, ce qui est meilleur que le taux de survie dans la nature ou dans le Sud », révèle Peter May. Le secret de leur succès? « C’est l’eau très, très froide de notre écloserie! »

Bateau de pêche
Bateau près de Tasiujaq, Nunavik. © Mikhaela Neelin

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