Dossier spécial : Créer de nouvelles richesses , partie 5

La nature, une « infrastructure » comme une autre?

Rivières, milieux humides, forêts... tous des actifs naturels du Québec.
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Rivières, milieux humides, forêts... tous des actifs naturels du Québec. ©Rémi Leroux
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Estimer la valeur de nos forêts ou de nos rivières au même titre que d’autres actifs financiers permettrait-il de mieux lutter contre les crises associées aux changements climatiques?

Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo, nous répond.

Quels sont les actifs naturels et pourquoi les inscrire aux états financiers des villes et du secteur public? 

Les actifs naturels, ce sont les rivières, les milieux humides, les forêts, les lacs, les dunes ou les champs. En fait, toutes les sortes d’habitats qui nous fournissent des services écosystémiques. Ces services sont importants. On fait exprès d’utiliser le terme «actif» parce que c’est celui qui est également utilisé pour le bâti. On parle d’« actifs bâtis » ou encore d’« infrastructure grise ». Si on traitait nos actifs naturels comme on prend soin de nos actifs gris, on pourrait préserver et maintenir les services que les actifs naturels fournissent à nos concitoyens. 

Par exemple, en retenant l’eau naturellement, un milieu humide protège les habitants contre les inondations. Ce service a une valeur qui peut être calculée en utilisant différentes méthodes. On peut d’abord se poser la question suivante : de quelle infrastructure grise aurait-on eu besoin pour remplir la même fonction que le milieu humide? Et s’il n’y avait ni milieu humide ni infrastructure pour protéger les habitants, quels auraient été les coûts des dommages liés aux inondations?

On a souvent des arguments économiques pour faire du développement et on parle souvent d’économie ou d’emplois créés. Mais si on n’a rien dans les états financiers des municipalités sur les actifs naturels et qu’ils ne sont pas pris en considération, on prend des décisions qui ne sont pas économiquement viables.

Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo
Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo ©Courtoisie

Certaines municipalités ont pris conscience que les forêts, par exemple, contribuent à ralentir les changements climatiques. Pourtant, les actifs naturels ne sont pas comptabilisés dans les états financiers des entités du secteur public. Pourquoi?

Parce que les règles comptables interdisent de le faire. La bonne nouvelle, c’est qu’un peu plus de 90 municipalités au Canada et les gouvernements de certains pays dressent les inventaires des actifs naturels et commencent à les évaluer. Des villes comme Gibsons, en Colombie-Britannique, ont été des pionnières en la matière. Depuis 2014, plusieurs municipalités ont mis en place un système de notation dans les états financiers, même si elles n’ont pas le droit de les incorporer dans leurs résultats économiques ou financiers.

En fait, inscrire la nature comme valeur financière, ce n’est pas une fin en soi. Ce qu’on souhaite, c’est qu’on normalise ces règles comptables parce qu’on trouve que c’est une des clés pour faire face aux changements climatiques. La nature est une clé pour la résilience, pour la réduction des gaz à effet de serre et pour la préservation de la biodiversité. Les actifs naturels sont essentiels pour fournir d’autres services qui nous profitent, comme la filtration de l’air et de l’eau.

Lac avec forêt en arrière-plan
Nos milieux naturels, des infrastructures « vertes » à évaluer. ©Shutterstock

Au Québec, la valeur annuelle des actifs naturels est estimée à environ 50 M$. Comment est-on parvenu à établir ce montant?  

En ce moment, plusieurs groupes d’économistes écologistes travaillent sur ces estimations au Canada, comme le Municipal Natural Assets Initiative (MNAI). Au Québec, il y a l’équipe de Jérôme Dupras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique à l’Université du Québec en Outaouais. Tous cherchent à standardiser des méthodologies, mais pas nécessairement à les figer. On a besoin d’un cadre commun au Canada, mais qui demeure assez flexible pour s’adapter à tous les types de situations existantes.  

Ça implique ensuite de mettre en place un index national et d’effectuer un travail sur le plan fédéral. Comment faire le compte du capital naturel national? Statistique Canada a déjà publié quelques chiffres, au début de 2022, et apparaît désormais capable de repérer les changements qu’on observe dans les écosystèmes. Ce qui ressort de son étude, c’est que le verdissement de nos villes continue de décliner. On doit déployer beaucoup d’efforts pour planter des arbres et pour capter le carbone. 

Si les gouvernements locaux chiffrent leurs actifs naturels, leur valeur va augmenter. À l’inverse, si ces actifs ne sont pas protégés et se dégradent, elle diminue. Estimer leur valeur est donc aussi une façon de faciliter l’investissement dans la nature. Des banques, des institutions financières privées, sont prêtes aujourd’hui à investir dans le capital naturel.

N’est-ce pas problématique que des compagnies privées telles que des banques, dont certaines sont connues pour financer les industries fossiles, investissent dans des actifs naturels?

Dans le contexte actuel de double crise – celle des changements climatiques et celle de la perte de biodiversité –, l’Organisation des Nations Unies exhorte les pays du G20 (dont le Canada) à tripler leurs investissements dans les solutions naturelles d’ici 2030. Nous avons besoin que le secteur privé s’engage de plus en plus dans des actions nature positive, comme on dit en anglais. Beaucoup d’acteurs du milieu se demandent quels indicateurs nous pouvons utiliser pour mesurer ce type d’action.

Ce que l’on voit, c’est qu’on a besoin de plus d’investissements dans la nature et dans les infrastructures naturelles, de la même façon qu’on investit déjà dans les infrastructures grises, par exemple dans les bâtiments efficaces énergétiquement. C’est comme investir dans nos écoles. Ce sont des actifs qui ont une valeur si nous en prenons soin, pas si on les laisse se dégrader. Cela ne signifie pas pour autant que les investisseurs privés vont acheter nos écoles.  

J’ai été impliquée dans des projets de recherche pour établir des indicateurs quant à la valeur de la biodiversité, parce que les acteurs financiers regardent comment ils peuvent soutenir la biodiversité, réduire leurs impacts sur celle-ci ou aider à la restaurer.  

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