Approche efficace pour freiner l’étalement urbain responsable de l’augmentation de la congestion routière et des émissions de gaz à effet de serre, la densification douce présente de nombreux avantages.
On décortique cet outil d’aménagement avec Charlotte Montfils-Ratelle, urbaniste éclairée et chargée de projets à l’Arpent, un OSBL de services-conseils en urbanisme et en aménagement du territoire.
L’Arpent a travaillé avec plusieurs municipalités québécoises ces dernières années sur des approches de densification douce. De quoi s’agit-il exactement?
La densification douce consiste à ajouter des logements dans un quartier déjà développé, sans trop changer le paysage urbain existant. Elle peut prendre plusieurs formes selon le territoire où elle s’inscrit, mais elle se fait principalement sur des terrains déjà viabilisés, c’est-à-dire où les infrastructures – égouts et aqueducs notamment – existent. Certaines municipalités ont modifié leur réglementation pour autoriser les propriétaires privés à construire un logement secondaire sur un lot déjà occupé par un bâtiment existant. Cette nouvelle unité d’habitation accessoire (UHA) peut être aménagée dans le bâtiment principal ou y être annexée ou encore être construite en fond de cour. Le principe de base, c’est que l’UHA se situe sur le même lot que le bâtiment d’origine.
En fait, cela consiste à reconstruire la ville sur elle-même?
Oui, en faisant en sorte que le paysage urbain existant ne soit pas bouleversé. L’implantation d’une tour de 30 étages marque une rupture importante dans le paysage urbain. Autoriser la construction ou l’aménagement d’UHA sur des terrains où il y a de la place, c’est donc très différent.
L’adhésion des habitants est essentielle puisque c’est avant tout sur des terrains privés que se joue la densification douce. Comment expliquer les avantages de cette approche à la population?
C’est super important. Une ville comme Ottawa, pionnière sur ces questions, a adopté en 2016 un cadre réglementaire pour autoriser les UHA. À l’époque, ils se sont donné les moyens d’obtenir l’adhésion de la population, d’abord grâce à des consultations publiques très ciblées, puis, après l’adoption de la réglementation, en publiant un guide illustré qui explique les démarches pour les propriétaires, les normes et les avantages de la densification douce. Le maintien de bonnes communications explique en grande partie le succès de leur démarche.
Au Québec, nous avons accompagné la Ville de Sainte-Catherine il y a deux ans afin d’élaborer un nouveau cadre réglementaire pour permettre le développement des UHA. Le service de l’urbanisme avait constaté, au cours des années précédentes, qu’il y avait beaucoup de demandes d’information de la part des habitants concernant l’ajout d’un logement secondaire sur leur propriété. Mais neuf demandes sur dix avortaient, car le cadre réglementaire n’était pas du tout adapté à la réalité du cadre bâti. Nous avons donc travaillé à proposer une série d’amendements réglementaires pour autoriser l’implantation d’UHA. Parallèlement, pour chaque demande, une analyse qualitative est réalisée par le comité consultatif d’urbanisme. Le comité s’assure que les projets s’intègrent bien dans la trame et le paysage urbain. Cadre réglementaire adapté et validation qualitative : c’est une stratégie que les villes peuvent mettre en œuvre pour rassurer les gens.
La densification urbaine n’est pas seulement un outil de lutte climatique?
Non. On parle beaucoup de densification, aujourd’hui, parce que nous faisons face à une crise climatique, mais elle n’est pas seulement climatique. C’est aussi une crise sociale. L’écart se creuse entre les très riches et le reste de la population, l’abordabilité des logements s’effondre complètement… On est au croisement de tellement d’impératifs. Il y a quelques années, on parlait beaucoup de densification et de transport : transport collectif, lien structurant, etc. Ensuite, on a parlé de densification verte, comme quoi il est important d’ajouter des logements, mais aussi de la végétation, des infrastructures vertes. Comme la densification est devenue indissociable du transport et du verdissement, j’aimerais que la densification dont on parle aujourd’hui soit indissociable de l’abordabilité pérenne en matière de logement. Ici encore, il existe des outils pour développer des logements qui répondent, dans le temps, aux besoins de toute la population : coop, OSBL d’habitation, logement communautaire ou solidaire, logement social…
La densification urbaine, ce n’est pas tout noir ou tout blanc et, surtout, ce n’est pas une mode. On fait de la densification depuis longtemps au Québec.
Avec l’arrivée de nouveaux maires et mairesses conscients des impacts de l’étalement urbain sur le plan climatique, la densification va-t-elle s’accélérer?
Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une mode et qu’on fait de la densification depuis longtemps au Québec. On en parle encore parfois avec un angle un peu moralisateur. On parle du vilain étalement, des vilains banlieusards, des vilains VUS… C’est dommage. La densification urbaine, ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Oui, il y a encore des craintes, mais on dispose de tellement d’outils d’urbanisme et de connaissances pour s’assurer de faire de beaux projets, positifs, intelligents et qui répondent aux attentes de tous. Les gens, y compris les banlieusards, aiment avoir une rue avec des petits commerces, un endroit où se rassembler le soir, un logement à proximité. Une densification bien planifiée va amener tellement d’avantages et de vitalité dans une ville. Ce serait le fun d’en parler sous cet angle-là!
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