La démocratie participative étend aujourd’hui ses racines jusque dans les champs de l’environnement et du climat. Un terreau fertile pour impliquer les citoyens dans la transformation de leurs milieux de vie, entre deux élections municipales.
A priori, le lien entre la démocratie participative à l’échelon municipal et la lutte contre les changements climatiques semble ténu. L’implication citoyenne dans la vie publique par la voie de consultations, de concertations, voire de référendums populaires, peut-elle vraiment inverser le cours du réchauffement planétaire ? Laurence Bherer, professeure au Département de science politique à l’Université de Montréal, en doute.
« Les initiatives citoyennes sont pragmatiques et concrètes. La motivation première des participants est avant tout d’améliorer leur quotidien, à l’échelle de leurs milieux de vie avec, parfois, comme effet collatéral d’améliorer la santé de la planète », explique la coautrice de L’engagement pousse là où on le sème, paru cet automne chez Écosociété.
Amorcer la transition
Plusieurs projets portés par des citoyens aux quatre coins du Québec sont résolument colorés de vert. Prenons l’exemple du plus récent — et premier — budget participatif de la Ville de Montréal, dont les projets lauréats ont été dévoilés en septembre. Sur les sept initiatives proposées et choisies par le public, six ont une forte connotation environnementale.
« Nous sommes tous coincés entre le constat de l’urgence climatique et la nécessité de passer à l’action. La démocratie participative nous aide à identifier les premiers pas à faire pour s’engager sur le chemin du changement », affirme Marc-André Guertin, enseignant à l’Université de Sherbrooke et doctorant en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal. Ce spécialiste de la formation relative à l’environnement auprès des décideurs publics se présente d’ailleurs à la mairie de Mont-Saint-Hilaire, où il habite, en novembre prochain et, si son parti est élu, il promet d’instaurer un budget participatif afin d’impliquer les citoyens dans l’affectation d’une partie des dépenses de leur ville.
Audiences publiques, conseils de quartier, comités consultatifs : la démocratie participative revêt plusieurs formes. La plus populaire et, disons-le, la plus séduisante demeure le budget participatif, un concept encore récent au Québec qui consiste à allouer de l’argent collectif aux projets votés par les citoyens. Le premier exercice du genre au niveau municipal remonte à 2014 à Saint-Basile-le-Grand, sur la Rive-Sud dans la région de Montréal. Depuis, plusieurs municipalités ont embarqué dans une telle démarche, et la pandémie de COVID-19 n’y a rien changé. La municipalité de Matane, dans le Bas-Saint-Laurent, en est même rendue à sa sixième édition en 2021.
« Dans la dernière année, on estime qu’un tiers de la population du Québec habite une ville où il y a un processus de budget participatif en cours. La présence de ces pratiques dans la vie municipale ne cesse de prendre de l’importance », constate Véronique Fournier, directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, qui fait la promotion de cette pratique démocratique au Québec. Selon elle, un « bon » processus de budget participatif dépasse sa seule finalité, soit de concrétiser un projet qui a recueilli le plus grand nombre de votes. « Il faut le voir comme un exercice d’éducation populaire », explique-t-elle. Un banc public n’a pas le même coût qu’une chaise de jardin qu’on installe dans sa cour arrière. Même chose pour cette passerelle cyclopiétonne de plusieurs millions de dollars qui permet de franchir une rivière.
Antidote à la désaffection politique ?
Mais est-ce que ça marche ? Oui, répond sans hésiter celle qui a été conseillère de la Ville de Montréal de 2009 à 2013, en citant des études menées par le groupe de réflexion étasunien Public Agenda. « Les budgets participatifs réussissent à atteindre les groupes les plus marginalisés de la société. On remarque aussi que les élus sont plus reconduits à leur poste s’ils ouvrent la porte à ce genre d’initiative », soutient-elle.
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Cet engouement fait toutefois sourciller Laurence Bherer. « Avec les années, c’est devenu un label, au même titre que les conseils de quartier, nuance-t-elle. Il faut aller jeter un œil en dessous de l’étiquette pour voir si c’est un véritable exercice budgétaire ou plutôt une manière de dire : “On va vous donner du pouvoir pour 200 000 $” », explique-t-elle.
En fin de compte, ces diverses formes de participation citoyenne ont autant le potentiel d’alimenter le cynisme vis-à-vis de la politique que de le combattre. Exercer son rôle de citoyen entre deux scrutins municipaux, fort bien. Mais encore faut-il que cela transforme véritablement la ville selon les besoins de ses habitants, notamment du point de vue climatique.
« La démocratie participative facilite l’écocitoyenneté, soit la dimension politique de notre rapport à l’environnement, résume Marc-André Guertin. En ce sens, c’est un remède à l’écoanxiété. »
Comment améliorer son milieu de vie ?
S’il était possible de monter à bord d’un bateau électrique pour une promenade sur la rivière des Prairies cet été, il faut remercier les résidents d’Ahuntsic-Cartierville ! Ce service est directement issu du premier budget participatif de l’arrondissement montréalais, en 2019. Près de 1000 citoyens ont participé au processus qui a couronné ce projet, ainsi que celui de dépôt volontaire du verre sur deux sites de l’arrondissement et de la mise en place d’une programmation d’activités hivernales.
La formule « pogne » dans le nord de l’île. Les 2175 personnes qui ont voté lors de la seconde édition du budget participatif de l’arrondissement ont encore une fois eu un faible pour un projet qui a trait à la rivière des Prairies. Rendez-vous avec la rivière implique la mise en valeur et l’appropriation d’un lieu naturalisé en bordure du cours d’eau, dans le parc des Bateliers, par l’installation d’une aire de détente accessible et l’ajout d’informations visant la sensibilisation. Un projet d’aménagement d’espaces fruitiers en permaculture pour améliorer la sécurité alimentaire a aussi été retenu.
Cet article provient d’un cahier spécial « Les villes en action », publié par le quotidien Le Devoir, en partenariat avec Unpointcinq.