Le chanvre est une plante millénaire aux multiples usages, qui présente en plus l’avantage de limiter les effets des changements climatiques. Pourquoi en produit-on si peu au Québec?
À entendre les convertis prêcher en sa faveur, le chanvre serait une plante miraculeuse. Même si ça semble gros, ils ne sont pas totalement à côté de la plaque. Cette plante, bien adaptée au climat québécois, a une énorme valeur climatique et peut être utilisée à toutes les sauces. Agronome et expert en production de chanvre industriel, Marc Beaulieu résume ça avec humour : « Si on m’envoyait sur une île déserte et que je ne pouvais emporter qu’une seule chose, je choisirais le chanvre. Il fait tout : de l’alimentation aux isolants pour les bâtiments, en passant par le textile et le papier. »
Si on m’envoyait sur une île déserte et que je ne pouvais emporter qu’une seule chose, je choisirais le chanvre. Il fait tout : de l’alimentation aux isolants pour les bâtiments, en passant par le textile et le papier.
Coup de pouce pour le climat
Comme toutes les plantes, le chanvre absorbe le CO2, un gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère. Lors de la photosynthèse, il stocke en effet du carbone (le C de la formule CO2) dans ses feuilles, sa tige et ses racines. La particularité du chanvre — et c’est ce qui en fait un excellent allié du climat —, c’est qu’il pousse rapidement en plus de produire une grande quantité de végétation. Cependant, la séquestration du carbone n’est pas éternelle : en se décomposant, les plants le relâchent dans l’atmosphère sous forme de CO2.
Il est toutefois possible de retarder ce phénomène en transformant les plants de chanvre, notamment en matériau de construction. « Prenons l’exemple d’une brique de chanvre. La durée de vie du plant est allongée lorsqu’il est utilisé pour construire des bâtiments. C’est doublement gagnant d’un point de vue climatique puisque ces briques se substituent au béton, un matériau qui émet beaucoup de gaz à effet de serre », illustre Vincent Poirier, professeur à l’Université du Québec au Témiscamingue et codirecteur de l’Unité de recherche et de développement en agroalimentaire en Abitibi-Témiscamingue.
Officiellement, l’interdiction [du chanvre] vient de sa parenté avec la marijuana, mais c’est plutôt une histoire de lobby. En vérité, ce n’est pas le pot qu’on voulait interdire, mais le chanvre, et ce, pour des raisons économiques
Un frein à la production
Si le chanvre a tant d’avantages, pourquoi les agriculteurs québécois n’en cultivent-ils pas davantage? La réponse se trouve dans les livres d’histoire. « Le chanvre était très présent en Nouvelle-France. L’intendant Talon encourageait fortement sa production pour soutenir l’industrie maritime », signale David Dupont, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine et auteur d’Une brève histoire de l’agriculture au Québec.
La popularité de la culture du chanvre ne s’est pas démentie jusqu’aux débuts de l’industrialisation, où il s’est alors retrouvé en compétition avec les pâtes et papiers ou avec le coton pour le textile. Après avoir écopé d’une taxe sur la production, le chanvre finit par être interdit dans les années 1930. « Officiellement, son interdiction vient de sa parenté avec la marijuana, mais c’est plutôt une histoire de lobby. En vérité, ce n’est pas le pot qu’on voulait interdire, mais le chanvre, et ce, pour des raisons économiques », précise M. Dupont.
Le chanvre à l’avenir
Ce stigma lui a longtemps collé à la peau. Au Canada, la production industrielle de chanvre n’est redevenue légale qu’en 1998. Deux décennies plus tard, elle est encore anecdotique au Québec, où elle occupe 780 hectares, alors qu’environ un million d’hectares sont cultivés en grains chaque année. Les producteurs de chez nous se cantonnent à la production de graines de chanvre biologique décortiquées, destinées à la consommation humaine. La production de fibre est quant à elle synonyme de beaucoup de troubles pour peu de revenus. « Plusieurs agriculteurs se sont essayés à la culture du chanvre et s’y sont cassé les dents, déplore Marc Beaulieu. Les acheteurs sont peu nombreux et exigeants, si bien que les producteurs se retrouvent coincés avec leur récolte. »
C’est en investissant collectivement dans notre chanvre qu’il fonctionnera. Après tout, acheter, c’est voter.
D’après l’agronome, la culture industrielle québécoise du chanvre a besoin d’un coup de main pour décoller. « Les entreprises et les consommateurs doivent envoyer un signal clair aux producteurs : sans demande, notre production ne sera jamais vraiment intéressante. C’est en investissant collectivement dans notre chanvre qu’il fonctionnera. Après tout, acheter, c’est voter. »