Dossier spécial : Premières Nations, premières solutions , partie 6

Lutter contre l’érosion et préserver les vestiges culturels des Abénakis

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Enregistrement par les archéologues du Bureau du Ndakina des processus d'érosion visibles sur l'un des sites archéologiques d'Odanak. ©Courtoisie.
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Retombées positives générales

17 mars 2022 - Maxime Bilodeau, journaliste de l'Initiative de journalisme local

Les rivières si chères aux Abénakis sont victimes d’érosion, un processus naturel de dégradation du sol et des roches qui est renforcé par les soubresauts du climat. Un ambitieux projet combinant archéologie et adaptation aux changements climatiques a pour objectif de définir les zones les plus à risque dans le but de les protéger.

Les rivières Bécancour et Saint-François sont, pour les Abénakis, les équivalents de nos routes. Les Wôbanakiak les utilisaient jadis pour canoter du fleuve Saint-Laurent jusqu’au Maine et vice-versa. De nos jours, ces voies navigables ont perdu leur importance stratégique, mais pas leur valeur sociale et culturelle. Leurs abords sont toujours considérés comme des lieux de chasse, de pêche et de vie pour les communautés d’Odanak et de Wôlinak, dans le Centre-du-Québec. Mais pour combien de temps?

La situation à l’embouchure de la rivière Saint-François préoccupe tout particulièrement la nation. « Quand tu regardes les îles à l’entrée du lac Saint-Pierre, elles fondent à vue d’œil […] Justement, la semaine passée, on regardait le banc de sable à l’entrée du lac Saint-Pierre, ce n’est plus une île, c’est un petit îlet, tout petit. Si on recule il y a 30-40 ans, c’était immense cette île de sable. Il n’y en a plus de sable […] Tout le sable qu’il y avait sur l’île s’est répandu dans le fleuve. Il ne s’est pas évaporé magiquement », constate un Abénakis.

Érosion, abénakis
Zone d'érosion sur W8linaktegw. ©Courtoisie

Ce témoignage anonyme fait écho à ceux de nombreux autres usagers du territoire traditionnel recueillis par le Bureau du Ndakina du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki. Edgard Blanchet, chargé de projet en anthropologie sociale et culturelle au Bureau, a mené ces entretiens. « Les membres de ces communautés sont les experts par excellence de leur territoire. Ils sont bien au fait des changements et des bouleversements que ce dernier subit, y compris en ce qui a trait au réchauffement climatique », explique-t-il.

Nom de code : Érosion

Les inquiétudes quant à « la rivière Bécancour [qui] élargit », à « la détérioration des berges et des habitats humides » et au « nouveau phénomène d’inondations et de débâcles en plein hiver » ont incité le Bureau du Ndakina à lancer un ambitieux chantier sur ces cours d’eau. Le projet, appelé Érosion, consiste à déterminer les zones qui sont les plus à risque à cet égard et qui ont en même temps un fort potentiel archéologique – on y trouvait autrefois des villages, des campements, des lieux de chasse, voire de sépulture. Il est mené en collaboration avec les Bureaux environnement et terre d’Odanak et de Wôlinak, et les organismes de bassin versant des rivières Bécancour et Saint-François.

Enregistrement par les archéologues du Bureau du Ndakina des processus d'érosion visibles sur une zone de potentiel archéologique de la rivière Alsig8ntegw. ©Courtoisie

Lancé en 2019, ce projet est déjà bien avancé. Un rapport préliminaire publié en mars 2021 – une version définitive le sera ce printemps – fait état des travaux de définition du potentiel culturel et archéologique réalisés sur 103 zones distinctes lors de l’été 2020. Ces zones ont été ciblées à la suite d’une étude du potentiel archéologique effectuée à partir de données historiques, cartographiques et archéologiques ainsi que d’analyses de l’utilisation et de l’occupation actuelle du territoire. L’équipe d’archéologie du Bureau du Ndakina a ensuite constitué une fiche pour chacun des sites patrimoniaux visités, soit 43 sur la rivière Saint-François et 60 sur la rivière Bécancour. On y trouve une foule de renseignements (type de berge, hauteur de la pente, etc.) qui ont permis de mettre au point un indice de vulnérabilité à l’érosion.

Les résultats de ces analyses révèlent que les basses terres et les embouchures des rivières ne subissent pas l’érosion de la même manière. « On remarque pour [la Saint-François] que 65 % des zones de potentiel visitées ont un indice de vulnérabilité élevé versus 10 % des zones sur [la Bécancour] », lit-on dans le document. Plusieurs hypothèses d’ordre géomorphologique, topographique ou méthodologique sont avancées pour justifier que la Bécancour semble mieux protégée de l’érosion que la Saint-François. Ces renseignements permettront aux Abénakis de prioriser les interventions nécessaires pour sauvegarder les sites d’intérêt archéologique les plus vulnérables.

Geneviève Treyvaud, archéologue au Bureau du Ndakina, pilote le projet Érosion. Avec ses collègues, elle a sillonné les berges des rivières Bécancour et Saint-François pour en apprécier le niveau de dégradation du mois de juillet au mois d’octobre en 2020 et en 2021. « Les membres des communautés nous ont guidés sur le terrain. Cela nous a permis de faire notre prospection en canot, le mode de transport traditionnel des Abénakis, et en kayak plutôt qu’en voiture », raconte celle qui est aussi professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

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Délimitation des zones de potentiel archéologique et de leurs processus d'érosion par une archéologue du Bureau du Ndakina et une biologiste du Bureau Environnement et Terre de W8linak. ©Courtoisie

Le faible niveau d’eau des rivières l’été dernier a cependant forcé son équipe à faire ses relevés… à vélo! Une anecdote qui en dit long sur les pressions que subissent ces milieux. Le débit de la rivière Saint-François devrait ainsi chuter d’au moins 20 % en saison estivale d’ici 30 ans, selon l’Atlas hydroclimatique du Québec méridional. « Même si on ne dispose pas de données historiques pour l’affirmer avec certitude, on peut se risquer à pointer du doigt les changements climatiques pour expliquer ces métamorphoses », souligne Nicolas Pinceloup, agent de projet en adaptation aux changements climatiques au Bureau du Ndakina et coordonnateur d’Érosion.

Ce n’est qu’un début

Le projet Érosion devrait se poursuivre. L’équipe du Bureau du Ndakina pourrait par exemple mener des fouilles sur les sites archéologiques les plus menacés – dont certains datent de 12 000 ans. « On parle pour l’instant d’une dizaine de sites sur la rivière Saint-François et d’une poignée sur la rivière Bécancour », précise Geneviève Treyvaud. Les fiches élaborées seront mises à jour tous les ans dans le but de suivre de près la situation et d’agir en conséquence, particulièrement si l’érosion gagne du terrain.

Surtout, le projet Érosion sera vraisemblablement étendu à d’autres cours d’eau d’importance pour les Wôbanakiak, soit les rivières Yamaska, Nicolet et Chaudière. « Nous sommes en discussion avec nos partenaires, dont les organismes de bassins versants concernés », révèle Nicolas Pinceloup, sans toutefois avancer d’échéancier. L’approche, assez unique en son genre, pourrait même faire des petits ailleurs au Québec, voire au Canada. « Les Malécites, présents dans le Bas-Saint-Laurent, sont notamment intéressés », confirme Geneviève Treyvaud. L’érosion, après tout, ne connaît pas de frontières.

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