Par Florence-Léa Siry



« … ça c’est mon plus grand rêve! »
Mes collègues explosent de rire. Je suis la risée de notre trio. Ils se payent souvent ma tête avec mes grandes ambitions.
« Mais il y a cinq minutes tu nous disais que c’était autre chose ton plus grand rêve! »
« … »

J’avoue que je suis difficile à suivre. Je suis aussi rêveuse qu’ambitieuse. Pour moi, ce n’est pas un défaut, ni une qualité, c’est un mode de vie. J’ai vraiment envie de faire partie du changement. Néanmoins, je trouve le projet aussi vaste que difficile. Ça veut dire quoi au juste, faire partie du changement?

Chose certaine, je nous souhaite que ça change, car je n’en peux plus, et à peu près tout le monde autour de moi partage ce sentiment d’épuisement. On est tous dépassés par le rythme effréné de nos vies, le pilote automatique qui nous rend malade, mais qu’on ne sait pas freiner.

Mais il y a quelque temps la planète s’est rebellée.

Depuis maintenant un mois, je me réveille tous les matins sans savoir quand, ni comment, je pourrai reprendre mes activités professionnelles. J’étais pourtant sur une bonne lancée. Je venais d’engager deux super adjointes, j’étais contactée par de grandes entreprises, de super écoles, j’avais des idées plein la tête et surtout, l’ambition de partager mon amour du zéro gaspillage à tous ceux qui croiseraient ma route. Cette foutue pandémie m’a fait tomber en chute libre. Étrangement, je n’ai pas eu si mal. Évidemment, il m’arrive d’être inquiète de manquer d’argent, mais il m’arrive bien plus souvent de remercier la vie de nous imposer de ralentir. Une partie de moi ne peut s’empêcher d’être réconfortée de voir que la majorité des humains profitent de cette période d’incertitude pour reprendre leur vie en main. On avait perdu confiance en nos mains, en notre créativité, en notre capacité de ralentir.

Mon avenir me paraît plus doux.

***

En passant des entrevues pour trouver mes coéquipières, j’avais préparé un schéma de mon avenir professionnel. L’expliquer aurait été trop complexe et je voulais éviter à tout prix d’effrayer mes nouvelles coéquipières. Je cherchais une équipe qui voudra évoluer avec moi, qui partage ma vision. Comment expliquer à ces femmes que j’espère que dans 10 ans, j’aurai perdu ma job? Que je souhaite plus que tout que la cuisine zéro gaspillage sera devenue si « commune » que je n’aurai plus rien à raconter…

Sur la feuille que je leur présentais, chaque projet principal avait sa couleur et ses déclinaisons. Tous aboutissaient à SKOV (traduction : « Forêt » en danois), une école de la forêt ou une ferme écologique – ce n’est pas clair encore – où l’éducation relative à l’environnement serait à l’honneur.

Ce qui me réconforte le plus dans ce projet, c’est de constater qu’on est plusieurs jeunes entrepreneurs rêveurs et ambitieux à caresser le rêve de retourner à la terre. À tout vouloir lâcher pour investir dans les régions pour développer l’économie/l’autonomie locale et, soyons fous, la souveraineté alimentaire. Et tant qu’à tout donner pour mettre sur pied une nouvelle entreprise, aussi bien prôner l’économie circulaire régional. Je ne suis pas juste rêveuse et ambitieuse, je suis surtout confiante qu’ensemble, on peut s’entraider à réaliser nos projets à échelle humaine.

Dans 30 ans donc, après 10, 20 ans à roder nos projets respectifs et à investir dans nos communautés, je souhaite qu’on offrira des services en synergie avec la nature, où les gens pourront venir se déposer, relaxer et manger en pleine conscience. Consommer pour répondre à nos besoins sera une vieille pratique de l’ancien temps, pas celui de ma grand-mère, celui de ma jeunesse… Ainsi, je rêve et j’aspire à ce que les concepts d’économie familiale deviennent la norme et que tout le monde devienne plus autonome face à ses besoins.