©Simon Paré-Poupart
Retombées positives générales
Avec les changements climatiques, les animaux ont tendance à migrer vers le nord. À Ivry-sur-le-Lac, dans les Laurentides, deux organismes de conservation de la nature ont aménagé un passage faunique afin de rendre leurs déplacements – et les nôtres – plus sécuritaires. Notre journaliste a visité les lieux.
Caroline Marcotte de Conservation de la nature Canada (CNC) m’attend dans son véhicule sur une route de campagne adjacente à la 117, continuation de l’A15. La chargée de projets m’amène sur un petit sentier en direction du parc linéaire du P’tit Train du Nord, très apprécié dans la région pour les randonnées à pied, à vélo ou à ski de fond. Ce que les promeneurs ignorent peut-être, c’est qu’en empruntant ces sentiers, on passe sur un passage faunique.
L’automne dernier, en collaboration avec l’organisme Éco-corridors laurentiens, CNC a installé un tel passage à Ivry-sur-le-Lac en réaménageant un tunnel existant. Ces travaux visent deux objectifs. Le premier est de permettre aux animaux de contourner l’obstacle que représente la 117 et, ainsi, d’éviter les collisions avec les automobilistes. Le deuxième est de prolonger les corridors écologiques déjà existants dans la région afin de créer un chemin reliant le parc national d’Oka au parc national du Mont-Tremblant (voir carte).
Souriez, vous êtes filmés!
En 2019, Éco-corridors laurentiens a installé des caméras afin d’évaluer le potentiel de deux emplacements propices à l’aménagement d’un passage faunique, nous raconte par visioconférence sa directrice, Marie-Lyne Després-Einspenner. Selon elle, « le passage d’Ivry était une bonne option, car dès les premiers mois de tournage on a vu apparaître à la caméra des orignaux, des cerfs de Virginie, des canards et des ratons laveurs ».
Les espèces recherchent les conditions de vie qui leur sont favorables, elles se dirigent donc vers le nord.
CNC a travaillé à rendre le tunnel plus attrayant pour la faune en le végétalisant. L’idée était aussi de permettre aux animaux de se cacher puisqu’ils partagent le passage avec les humains et que des prédateurs y circulent, notamment le renard. On y a donc disposé des troncs d’arbres, des roches et des copeaux de bois afin que les petites espèces s’y sentent en sécurité et l’utilisent.
Un passage faunique est un aménagement permettant la continuité des corridors écologiques à travers les infrastructures routières, afin que la faune se déplace en toute sécurité.
Un éco-corridor ou corridor écologique est un passage terrestre ou aquatique qui relie des territoires entre eux.
Source : Éco-corridor laurentien
Une adaptation nécessaire au maintien de la biodiversité
Au rythme actuel du dérèglement climatique, la biodiversité des Laurentides ne réussit pas à s’adapter. « Les espèces recherchent les conditions de vie qui leur sont favorables, elles se dirigent donc vers le nord », explique Caroline Marcotte. Le processus migratoire se fait actuellement au rythme de 45 km par décennie. C’est trop rapide. Cette distance signifie de nombreux déplacements, donc de nombreuses traversées de routes pendant lesquelles les animaux se mettent à risque.
C’est ce que confirme en entrevue téléphonique Martin-Hugues Saint-Laurent, professeur au Département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski. « En dessous du 51e parallèle, l’environnement est perturbé par les routes, moteur de perte de biodiversité pour la plupart des espèces. La meilleure façon de préserver la nature est de ne pas perturber l’habitat. »
Pour le biologiste, les effets bénéfiques de l’aménagement de passages fauniques pour contrer la fragmentation des habitats provoquée par les développements immobiliers et routiers sont bien documentés. « De nombreuses études prouvent que les passages fauniques apportent une réponse positive. Ce n’est pas suffisant, mais cela permet de maintenir ou de créer des corridors écologiques. »
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Connecter les milieux
Caroline Marcotte espère que le passage d’Ivry marquera le début d’une approche qui se généralisera dans les Laurentides. Selon elle, les élus et dirigeants de la région discutent de plus en plus de connectivité écologique, et c’est tant mieux. Les municipalités sont souvent des partenaires dans l’action, comme à Ivry-sur-le-Lac, et comprennent « qu’une multitude de petites parcelles protégées ne permet pas toujours la connexion entre espèces » explique Caroline. Le risque, à long terme, est que les individus d’une même espèce acquièrent un bagage génétique si semblable que leur capacité d’adaptation, notamment face aux changements climatiques, en sera réduite. Il est donc nécessaire de relier les milieux naturels entre eux pour stimuler la diversité génétique.
Pour convaincre les villes d’aménager des passages fauniques, on peut mettre l’accent sur la sécurité routière. Selon Marie-Lyne Després-Einspenner, ces installations peuvent réduire les collisions avec les automobilistes de 80 % à certains endroits. Voilà un argument de taille puisque, selon CNC, il y aurait chaque année 51 collisions avec la faune sur les 50 km de l’autoroute 15 qui traversent les Laurentides.
Sensibiliser les promeneurs
Pour Caroline Marcotte, le sentier du P’tit Train du Nord « est une belle vitrine pour sensibiliser les gens aux passages fauniques ». Elle me montre les panneaux informatifs installés en bordure du passage qui expliquent les corridors écologiques, le rythme de la migration des espèces causée par les changements climatiques et la connectivité écologique. « C’est une belle opportunité pour les marcheurs d’en apprendre plus sur notre projet », affirme-t-elle. « Si les élus s’y intéressent maintenant, c’est que c’est un enjeu de plus en plus prégnant chez les électeurs des Laurentides », ajoute Marie-Lyne Després-Einspenner.
En quittant Ivry-sur-le-Lac, j’aperçois un cerf de Virginie mort sur la 117, puis un autre sur l’A15. Je repense alors à une application qu’a mentionnée la directrice d’Éco-corridors laurentiens. Stop Carcasses permet de partager de l’information colligée par des citoyens pour aider les organismes et les décideurs à déterminer le bon endroit pour implanter un passage faunique. Toutes les bêtes se déplaçant dans les environs pourraient profiter d’un tel coup de pouce…
