Proposer un spectacle de cirque pour dépeindre la crise climatique avec un minimum d’impact écologique, c’est la proposition originale des artistes d’Acting for Climate et du Cirque Barcode. La journaliste Émélie Rivard-Boudreau a assisté à une représentation de Branché dans une forêt bucolique de l’Abitibi.
Le Parc-Aventure Joannès, près de Rouyn-Noranda, est bien connu pour ses parcours d’arbre en arbre, sa piste d’hébertisme et son labyrinthe forestier. Le 19 septembre dernier, sous un soleil rayonnant, le site s’est transformé en grande scène à ciel ouvert. Une cinquantaine de personnes s’étaient rassemblées pour cette quatrième représentation de Branché, un spectacle acrobatique explorant les relations entre les humains et la nature.
Le spectacle déambulatoire, qui prend forme dans trois espaces différents de la forêt, fait vivre une panoplie d’émotions au public. Qu’ils soient juchés dans les arbres, accroupis au sol, sur l’eau ou empilés les uns sur les autres, les artistes font rire et surprennent. Dans leur mise en scène, ils réussissent aussi à toucher le public avec des émotions plus tristes et tragiques.
« La première phase du spectacle, c’est l’éveil. C’est très enfantin, très ludique. Les personnages découvrent la forêt, dépensent leur énergie sans compter et ne se rendent pas compte de ce qu’ils utilisent. Ils ne sont pas très connectés à la nature », raconte Agathe Bisserier, cofondatrice de la branche montréalaise d’Acting for Climate et une des créatrices de Branché.
Puis, dans la deuxième partie, la légèreté fait place à une atmosphère plus sombre. Les personnages se bousculent et l’ambiance devient chaotique. Grâce à un jeu d’acrobaties, les artistes de Branché incarnent la course à la surconsommation et à l’autodestruction. « On va grimper les uns sur les autres pour essayer de monter de plus en plus haut », expose Agathe Bisserier. Forcément, à monter trop haut, on finit par chuter. « Il est donc question de la chute encore et encore et de savoir combien de temps ça va prendre pour se rendre compte que c’est trop et qu’on n’est plus capable de garder le même rythme », poursuit l’artiste.
Le dernier tableau se déroule sur les rives du lac Joannès, dans un décor enchanteur, et apporte une lueur d’espoir. La trame sonore est apaisante et on sent, par le jeu et les acrobaties qui nécessitent un fort travail d’équipe, que les personnages optent pour une reconstruction. « C’est cette étape qui nous intéresse le plus », indique la créatrice de Branché. « Prendre le temps de se poser, de réussir à se rendre compte de ce qui se passe et de s’entraider. Se reconstruire ensemble, dans l’écoute et la bienveillance. »
Pour le public, la cible est atteinte. « On ressent beaucoup d’harmonie chez les artistes. Ça vient nous chercher. Ce que j’ai retenu, c’est qu’il faut prendre le temps de se reconnecter avec la nature et être conscient de son importance pour être équilibré et en santé », commente Geneviève Binette, une des spectatrices.
Le cirque autrement
Acting for Climate est un mouvement né en Norvège en 2015. Ce réseau d’artistes a commencé par se réunir chaque été pour réfléchir à la façon d’adapter leurs pratiques artistiques afin qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement. Nathan Biggs-Penton, un des créateurs de Branché, s’est joint au mouvement en 2018. « En 2019, on a fait un premier grand spectacle ensemble en Scandinavie, à bord d’un bateau à voile. À mon retour, je ne voulais plus prendre l’avion pour aller travailler en Europe. Avec Agathe Bisserier et Adrien Malette-Chénier, on a alors fondé Acting for Climate Montréal », raconte l’artiste d’origine américaine qui réussit aussi la prouesse de s’exprimer dans un français impeccable.
Leur créneau : utiliser la voie théâtrale pour traiter des changements climatiques, proposer des spectacles en région pour éviter de prendre l’avion et se produire de jour, en extérieur, pour se passer d’éclairage artificiel. Comme la nature face aux bouleversements du climat, les artistes doivent alors faire preuve de résilience en s’adaptant à chaque nouvelle scène extérieure avec laquelle ils doivent se familiariser.
Si chaque artiste et chaque compagnie se demandait ce qui peut être fait et comment, on pourrait trouver des manières de faire qui sont meilleures pour notre santé mentale et pour l’environnement.
Est-ce pour eux la recette idéale d’un spectacle climato-sympathique? « On ne souhaite pas mettre des règles très rigides, mais on tient à avoir toujours conscience de l’impact de ce qu’on fait sur le reste du monde », répond Nathan Biggs-Penton. « Ce format-là convient à ce spectacle, mais ça ne veut pas dire qu’il conviendra à tous les artistes », renchérit sa collègue Agathe.
Les membres d’Acting for climate Montréal veulent toutefois outiller la communauté artistique qui s’intéresse à la justice sociale et environnementale. Ils proposent donc des ateliers où les participants jouent, discutent et apprennent en nature. Agathe Bisserier espère que de plus en plus d’artistes aient une prise de conscience et se demandent comment allier leur pratique artistique et la cause environnementale. « Si chaque artiste et chaque compagnie se demandait ce qui peut être fait et comment, on pourrait trouver des manières de faire qui sont meilleures pour notre santé mentale et pour l’environnement », conclut-elle.